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A Patna Hindoostan (version française) par Nigel Roth



Si vous choisissez un jour de dîner au Gymkhana de Mayfair, récompensé par le Michelin pour sa cuisine indienne raffinée, vous devez savoir quatre choses essentielles.


Premièrement, ce ne sera pas bon marché.


Deuxièmement, son nom décrit un type de court de jeu de raquette indien, et résulte d'un assemblage du mot hindi gedkhana et du mot gymnasium, lui-même issu d'un abâtardissement par les colons de l'empire britannique du mot grec gumnasion, qui signifie faire de l'exercice nu.


Heureusement, le personnel de service adhère à un code vestimentaire strict, à savoir porter quelque chose, de sorte que vous ne serez pas rebuté par votre muntjac biryani, "une grenade et un raita à la menthe".


Ce qui nous amène au troisième constat, à savoir que personne en Inde ne mange des plats qui ressemblent à ceux-là. Le concept de cuisine raffinée qui fusionne la nourriture indienne avec les préférences culinaires occidentales frise d’ailleurs probablement l'appropriation culturelle.


Mais les Britanniques sont doués pour cela ; leur plat national n’est-il pas le poulet tikka masala ?


Le dernier point, et vous serez heureux de l'apprendre, est que si vous mangez au Gymkhana ou dans l'un des mille trois cents autres restaurants indiens du Royaume-Uni - sept mille deux cents autres sont en fait du Bangladesh, mais la plupart des clients se fichent éperdument de cette distinction - c'est grâce au Sheikh Din Muhammad.


Sheikh Din Muhammad, ou, pour utiliser la version occidentalisée à laquelle il a dû s'habituer en raison de l'incapacité des Britanniques, même à l'époque, de respecter les noms qui ne commencent pas par John et se terminent par Smith, Sake Dean Mahomed, est né en 1759 dans l'État du Bihar, dans la ville de Patna alors ravagée par la présidence du Bengale, une subdivision de l’Empire britannique.


Mahomed est né dans une famille musulmane, descendant du grand Nawab du Bengale, l'équivalent héréditaire d'un grand-duc en Europe. À la mort de son père, il fut pris en charge par le capitaine Godfrey Evan Baker, un officier irlandais qui lui fit découvrir la vie militaire au sein de la Compagnie des Indes orientales, et le lança dans une carrière médicale en tant que chirurgien stagiaire.

Lorsque Baker démissionna de l'armée en 1784 et retourna à Cork, en Irlande, Mahomed le suivit, préférant l'incertitude de la vie lointaine à la tyrannie de la dictature coloniale qui avait envahi tous les aspects de son monde.


À Cork, Mahomed perfectionna son anglais et tomba amoureux de Jane Daly, dont la famille ne fut pas tout de suite très enthousiaste à l'idée d'un lien matrimonial entre leur "jolie fille irlandaise de parents respectables" et ce médecin indien récemment arrivé. Et, bien sûr, dans le plus pur style irlandais, il était illégal pour une protestante d'épouser un non protestant.


Donc, pour s'attirer les faveurs des Daly, Mahomed se convertit à l'anglicanisme.


En vain. Les amoureux n’eurent donc d’autre recours que de se sauver dans un village voisin où les gens ne les connaissaient pas aussi bien, et se marièrent avant de partir encore plus loin, à Londres, où ils s’installèrent dans Little Ryder Street, vers 1800.


À la même époque, Mahomed écrivit et publia The Travels of Dean Mahomet, récit dans lequel il plagie principalement des ouvrages de voyage antérieurs, et décrit, d'un point de vue très eurocentrique, sa première vie, ses voyages avec l'armée du Bengale, sa langue et sa culture, le troc, la production et le commerce et poursuivit en décrivant ses habitudes culinaires et son mode de vie, ainsi que des conflits militaires ; il conclut par son arrivée sur les côtes d'Angleterre en 1784.


Après cet effort quelque peu médiocre, Mahomed entreprit de se reproduire.


Il eut sept enfants avec Jane : Rosanna, Henry, Horatio, Frederick, Arthur et Dean. Il apprécia tellement tout cela qu'il épousa une autre Jane, Jane Jeffreys, en 1808, et eut un autre enfant, Amelia.


Il n’y aurait eu aucun problème s'il avait d'abord divorcé de Jane Daley, ce qu'il n'avait pas fait.


Ce qu'il fit par contre, c'est aller travailler pour Basil Cochrane, fonctionnaire, inventeur et riche homme d'affaires écossais qui avait accumulé une fortune stupéfiante grâce à d'autres irréductibles de la Compagnie des Indes orientales. Apparemment, il semble avoir été lié aux mêmes personnes que Mahomed via cette entité impériale.


La passion de Cochrane pour les bains de vapeur le conduisit à installer dans sa maison un tel bain que le public pouvait utiliser librement. C'est là que Mahomed fut employé. Il y introduisit l'idée du champooi ou shampooing, ce que nous connaissons aujourd'hui sous le nom de massage.


Après ce passage dans le bain, Mahomed décida de faire évoluer encore plus les mentalités en ouvrant un restaurant et un fumoir, connu plus tard sous le nom de Hindoostane Coffee House. Il est considéré comme le tout premier restaurant indien de Grande-Bretagne. Situé dans George Street, à Londres, le restaurant proposait des narguilés et du tabac chilam, ainsi qu'un éventail de plats indiens "d'une perfection inégalée, et que les plus grands épicuriens considèrent comme incomparables, avec des currys préparés en Angleterre et accompagnés de vins de choix". Il organisa même un service de livraison à domicile pour ceux qui ne pouvaient pas se rendre au restaurant parce qu'ils étaient trop détendus après leur massage.

Le Morning Post diffusa sa première publicité complète en 1810, déclarant que ...


Sake Dean Mahomed, fabricant de la véritable poudre de currie, saisit la première occasion de faire savoir à la noblesse et à la gentry, qu'il a, sous le patronage des premiers hommes de qualité qui ont résidé en Inde, établi dans sa maison, 34 George Street, Portman Square, le Hindoostane Dinner and Hooka Smoking Club.


Des appartements y sont aménagés pour le divertissement dans le plus pur style oriental. Des dîners, composés de véritables plats indiens, y sont servis rapidement. Les dames et les messieurs qui souhaitent que des plats traditionnels leur soient préparés et envoyés à leur domicile seront servis dans les meilleurs délais moyennant un préavis.


Un an plus tard, cependant, le restaurant n'avait pas encore captivé l'imagination de quiconque.


Les chefs privés, et l'habitude ancrée de manger à la maison, ont contribué à mettre fin au rêve éphémère de Sake Dean Mahomed, qui vendit son affaire et déménagea sa famille à Brighton en 1814.


Cette expérience n’entama cependant en rien le moral de Mahomed, qui trouva le moyen d'ouvrir un autre commerce et de faire une autre première : le premier bain commercial de masseur à vapeur avec shampooing en Grande-Bretagne. Il décrivait alors le traitement comme "un remède à de nombreuses maladies et procurant un soulagement complet lorsque tout échoue ; en particulier les rhumatismes et les paralysies, la goutte, les articulations raides, les vieilles entorses, les jambes boiteuses, les courbatures et les douleurs dans les articulations".


Contrairement au café Hindoostane, cette entreprise connut un succès instantané, et Mahomed publia deux autres livres à la suite de son succès : Cases Cured by Sake Deen Mahomed, Shampooing Surgeon, and Inventor of the Indian Medicated Vapour and Sea-Water Bath (1820), et Shampooing ; or, Benefits Resulting from the Use of The Indian Medicated Vapour Bath, qui connut trois éditions ultérieures, en 1822, 1826, et 1838.

Mahomed y évoque le défi qu'il a dû relever pour introduire une nouvelle idée dans un pays de tradition pédante. Il écrivit qu'il était impossible de "tenter de présenter une nouveauté sans risquer d'être ridiculisé", et que même "face à des preuves indiscutables", il avait dû "lutter contre les doutes et les objections soulevés et répandus" contre lui.

Plutôt que de rester dans les mémoires comme l'homme qui a introduit le restaurant indien en Grande-Bretagne, il fut alors connu localement sous le nom de "Docteur Brighton", et dûment nommé masseur du roi George IV et de William IV. C'est seulement à ce moment-là que le massage devint une pratique acceptable sur les îles de Grande-Bretagne, alors que la fréquentation des restaurants indiens ne le devint pas avant quelques années.

Et bien sûr, l'autre première de Mahomed - sa troisième première - fut la publication de ses livres. En effet, outre le restaurant et le massage, il est considéré comme le premier auteur indien à avoir écrit et publié en langue anglaise, ce qui n'est pas une mauvaise addition à l'œuvre d'une vie.

Il est mort en 1851, âgé d'un peu plus de quatre-vingt-dix ans, et fut inhumé à Brighton avec au moins une de ses épouses nommée Jane. L'inscription sur sa pierre tombale reconnaît seulement que Mahomed était un "Patna Hindoostan", mais ne dit rien de ses réalisations.

Même si celles-ci figureraient sûrement sur la liste des balti de n'importe qui.


Photo by Pixabay

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