En 1537, tandis que les Espagnols goûtaient pour la première fois aux « patatas bravas » et méditaient sur la remarque du Pape Paul, selon laquelle les indigènes du Nouveau Monde étaient des êtres sensibles qui ne méritaient probablement pas d'être réduits en esclavage, un alchimiste suisse d’Einsiedeln, Paracelse, tentait de fabriquer un automate.
Si son procédé, qui consistait à mélanger du sperme à du crottin de cheval et à y injecter du sang pendant quarante jours, fait plus penser à la recette de pain de viande de ma mère qu'à la formule d’un inventeur donnant naissance à un humanoïde, l'idée de créer une vie artificielle faisait chemin dans son esprit.
L’histoire ne nous dit pas si le bricolage alchimique de Paracelse a eu plus de succès que l'homoncule de Goethe qui voulait s’échapper de la fiole ; une chose est sûre cependant, l’imagination sur le thème de l’automatisation de la vie était à l’évidence en ébullition.
Les religions, depuis aussi longtemps qu’elles existent, ont l’obsession de la création d'un golem, objectif aux proportions bibliques. Nous trouvons trace de cette marotte partout, des Égyptiens et leurs statues sacrées dotées de vie, jusqu’à Roger Bacon et sa tête automatisée omnisciente.
Et il existe des récits étonnamment détaillés d'êtres créés artificiellement.
Depuis les temps les plus reculés, des légendes évoquent des têtes qui auraient été réanimées, continuant à offrir la sagesse qu'elles avaient lorsqu'elles étaient vivantes. Odin gardait la tête embaumée de Mimir près de lui pour recevoir des conseils en matière de stratégie militaire, de membres fantômes et de poils de nez extrêmement longs, bien après que cette tête ait été séparée du corps lors de la guerre d’Æsir-Vanir.
Au IIIe siècle, Yan Shi, connu plutôt comme artificier, aurait présenté à son roi un humanoïde qui "marchait à grandes enjambées, en bougeant sa tête de haut en bas et faisait un clin d'œil et des avances aux dames", faux-pas qui lui valut de démonter le robot, montrant qu'il était uniquement fait de « cuir, bois, colle et laque de différentes couleurs : blanc, noir, rouge et bleu ». Il était également anatomiquement correct à l'intérieur, si l'on en croit l'histoire.
Plus tard, au XIIe siècle, l'automate orchestre flottant d’Ismāʿīl al-Jazarī enchantait les invités des fêtes du Sultan en jouant des instruments réglés sur une séquence chronométrée et préprogrammée. Le spectacle fonctionnait sur le principe du piano mécanique, avec des clepsydres qui déclenchaient des actions au bon moment.
Au XVIIIe siècle, un grand automaticien, Pierre Jaquet-Droz, donna naissance à plusieurs automates anthropomorphes, dont l’étonnant « Ecrivain », composé de plus de six mille pièces et dont on dit qu’il serait l'un des premiers exemples d'ordinateur, proche d’une création de l’intelligence artificielle de notre ère moderne.
La clé de cet automate extraordinaire est son mécanisme de réponse ; Le texte est encodé sur une roue qui sélectionne le choix des lettres à tracer. Certains, parfois un peu effrayés, pensaient que les pièces de l’automate étaient magiques. En effet, l'écrivain (un garçon) utilise une plume d'oie qu'il trempe de temps en temps dans un encrier, en la secouant pour éviter qu'un trop-plein d'encre ne laisse des pâtés. Ses yeux suivent le texte au fur et à mesure qu'il l'écrit.
Bien sûr, la transition entre l’automate qui recrée le mouvement et l’intelligence artificielle qui reconstitue le processus de décision humaine est colossale.
La mécanisation complète de la pensée humaine impliquerait, selon certains, de comprendre la recette de la vie humaine, une connaissance que l'on ne pensait être autrefois l’apanage que des dieux anciens ; Adam et Eve est un excellent exemple de ce travail mythique.
Nous nous sommes pourtant pas mal débrouillés.
Des philosophes comme Aristote ont défini le raisonnement déductif. Euclide a imaginé des modèles mathématiques et al-Khwarizmi l'algèbre. Nous avons eu Ramon Llull et ses machines logiques, Gottfried Leibniz et Thomas Hobbes pour déterminer que le raisonnement pouvait être réduit à un calcul et Alan Turing et Alonzo Church pour nous montrer que le raisonnement mathématique peut ensuite être formalisé et que les machines à penser artificielles sont possibles.
La création d'êtres humains artificiels est maintenant en tête de liste du développement technologique à venir. On est loin de l’époque où l’on imprégnait des excréments, ou même de celle où l’on demandait à un garçon mécanique d'écrire. On est encore plus loin du fameux canular de Wolfgang von Kempelen et de son Turc joueur d’échecs, ou de ce fantastique incubateur de vie humaine qu'est le jardin d'Eden.
La vraie question est de savoir si nous sommes au pied d'une évolution spectaculaire ou au bord d’un gouffre.
crédit photo - www.medicalgraphics.de CC BY-ND 4.0
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