Ce n'est pas une histoire gaie, alors prenez vos mouchoirs.
Allons à la plage. Je n'aime pas les plages.
Dans ce West End XXX, il fait très chaud et le ciel est d'un bleu parfait. La température est montée bien au-delà de 25 degrés et la mer, humide, est remplie de trucs marins. On suce des glaces, on les laisse tomber sur le sable chaud, des parasols s'effondrent sur des bouteilles de bière posées de façon précaire, près de serviettes maintenant trempées. Les amateurs de bronzette se mettent de la crème solaire et du sable partout, sur leurs corps nus, mais aussi sur leurs lunettes de soleil et leurs livres.
Moi je n’aime pas ça, mais les enfants adorent la plage.
C'est pourquoi nous aurions pu voir par miracle Jane, Arnna et Grant Beaumont sur la plage de Glenelg Beach le 26 janvier 1966, profitant de la journée. Les enfants avaient reçu la permission de leurs parents Nancy, décédée l'année dernière à l'âge de 92 ans, et Jim, dont la force et l'endurance sont telles qu’il continue à vivre à Adélaïde, de s’y rendre seuls.
Je dis bien par miracle, car ce jour-là, il y a près de cinquante-cinq ans, ces trois enfants ont disparu purement et simplement.
Je vous ai prévenu que ce n'était pas drôle.
Quoi qu'il en soit, même si l'enquête fut l'une des plus intenses de l'histoire australienne, et malgré la pléthore de pistes et de suspects, le mystère de leur disparition n'a jamais été élucidé.
Environ un an plus tard, un homme partit se baigner à Cheviot Beach, près de Portsea, à Victoria. La mer était d'un bleu sombre, menaçante. Soudain, on perdit l’homme de vue. Des recherches approfondies furent menées, mais il ne fut jamais revu non plus. Une fois encore, malgré la myriade de théories, on ne retrouva aucune trace d'Harold Holt. Le fait qu'il ait été Premier ministre de l'époque en Australie n'a fait qu'ajouter au mystère et a enflé l'attention mondiale que l'incident a suscité.
Là, l'histoire devient plus réjouissante.
Si les Beaumont et Holt n’ont pu être retrouvés, leur disparition restant du domaine de la conjecture, de telles tragédies peuvent être évitées à l'avenir.
En effet, imaginez que les plages de Glenelg et de Cheviot n'aient pas une seule paire d'yeux pour surveiller l’étendue de sable où les Beaumont et Holt ont disparu, mais un millier.
Imaginez que la détection du danger ne repose pas sur une seule personne qui observe la zone, mais sur un système de caméra artificiellement intelligent qui inspecte en permanence les lieux et communique les informations en temps réel au sauveteur.
Imaginez qu'en un clin d'œil, ce sauveteur puisse repérer le péril et le prévenir, réduisant ainsi les risques de sauvetages hasardeux. On sauverait les enfants d’un enlèvement, les premiers ministres de la noyade et les pêcheurs des morsures de requins.
Retour à la plage, et à 1963.
Rodney Fox participait au championnat australien de pêche en mer, au sud d'Adélaïde. Subitement, le bleu étincelant de la mer se mit à bouillonner et un grand requin blanc jaillit des eaux, avec un petit creux. Le requin mordit l’homme à la taille, lui infligeant de tels dommages que les sauveteurs durent lui laisser sa combinaison de plongée pour conserver ses organes à l'intérieur.
L'attaque perfora son diaphragme, déchira ses poumons, écrasa toutes les côtes du côté gauche de son corps, arracha l'artère principale du cœur, ouvrit son estomac et sa rate, et coupa tous les tendons de sa main droite.
Et vous pensiez que vous cogner l'orteil faisait mal ?
Le requin, cependant, s'amusait bien et traîna son dîner au fond de l’eau, ne relâchant Fox que lorsque celui-ci fut capable de frapper le prédateur dans l'œil et de remonter à la surface.
Mais Fox était un battant et, après de nombreuses heures d'opération et de rafistolage des morceaux de son corps, il se remit, et conçut l'une des premières cages à requins. Il inspira et aida Steven Spielberg à recréer le chaos du requin dans « les Dents de la mer ». Le requin n'a jamais été retrouvé à notre connaissance.
Retour sur la plage.
Si nous remontons dans le passé d’une quinzaine d’années, jusqu'en 1948, nous trouverons un homme étendu sur la plage de Somerton Park, toujours à Adelaïde, sous un ciel bleu délavé. Hormis ses vêtements, la seule autre chose que possédait cet homme sur lui était un morceau de papier arraché du Rubaiyat d'Omar Khayyam, sur lequel on pouvait lire "tamám shud", qui signifie simplement "fini".
Pendant quelques années, la police proposa plus de deux cents théories sur l'apparition de l'homme sur la plage, et réalisa plus de trente-six "identifications positives", dont aucune n'était semblable à l’autre. À ce jour, les autorités n'ont toujours pas la moindre idée de son identité.
Mais voilà que quelqu'un aurait pu nous aider : Sightbit, le sauveteur IA, habile comme je tape et comme vous lisez.
Contrairement aux humains, Sightbit est capable de tout voir en un instant, grâce à sa technologie de balayage multi-caméras et à son cerveau artificiel. Il aurait peut-être remarqué que les Beaumont étaient emmenés au loin, ou qu'ils erraient seuls, et aurait au moins pu filmer leur ravisseur.
Sightbit peut analyser avec précision chaque élément de la plage. Cela lui permet d'acquérir des connaissances détaillées et précieuses sur celle-ci à tout moment de la journée, du mois ou de la saison. Il repère les dangers aquatiques 80 % plus vite qu'un humain et, en observant la scène, peut prévenir d’un danger. Il aurait peut-être pu avertir Holt des turbulences de la mer et du potentiel de sous-courant, ou même enregistrer son point de chute dans l’eau et sa direction, pour permettre de mieux cibler les recherches.
Il sera capable de scanner avec mille yeux plutôt qu'avec deux ou quatre, et pourra voir avec une clarté absolue quand une glace est sur le point de tomber sur le sable, quand un parasol est sur le point de s'effondrer sur une bouteille de bière ouverte, ou comment et quand "Somerton Man" est arrivé sur la plage, et connaître de son identité.
Picture by Kelly Lacy
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