Le 1er octobre 2020, un quotidien français consacre un article au livre d’une féministe, qui s’intitule « Moi, les hommes, je les déteste » et dont le titre original est « Men are trash », les hommes sont des ordures.
« Détester les hommes et tout ce qu’ils représentent est notre droit le plus strict. C’est aussi une fête. Qui aurait cru qu’il y aurait autant de joie dans la misandrie ? » déclare l’auteur.
Le 2 octobre, le mollah d’Ispahan, chef de la prière du vendredi, appelle à l’insécurité pour les femmes « mal voilées » dans les rues et les parcs et au soutien des juges à ceux qui font la promotion de la vertu et la prohibition du vice.
Il s’agit d’une nouvelle incitation à la répression brutale des femmes en Iran, avec la promesse qu’elle restera impunie.
Éloge de la misandrie d’un côté, apogée de la misogynie de l’autre.
Un terrorisme masculin ; un néo-féminisme redresseur de tort.
Des hommes-ordures à jeter ; des femmes dépravées à corriger.
Des femmes pures et des hommes pervers ; des hommes purs et des femmes vicieuses.
Une vision binaire.
Le pile et face d’une même détestation.
Désir de dénigrement, d’étouffement, de soumission, d’asservissement, voire d’éradication et d’anéantissement de l’autre sexe en tant que partenaire humain.
L’histoire de l’humanité est une histoire de haines.
Les haines à l’ère du numérique ne sont pas différentes, mais elles sont exposées en vitrine, visibles à tous, et deviennent virales, parfois, cycloniques. Les messages de cette féministe et du mollah ne s’arrêtent pas aux frontières. C’est une évidence. Ils s’apparentent à une forme de propagande, qui trouve un écho chez bien des personnes qu’ils n’auraient pas atteintes auparavant. Celles-ci y voient une forme de légitimité à leur haine.
Du côté masculin, il n’est pas nécessaire d’aller dans une république islamiste pour faire un constat de la misogynie. Elle a eu de très belles heures dans nos sociétés et ses effets sont encore d’actualité. Ce sont les endroits où elle se manifeste qui se déplacent. C’est non seulement dans la rue – et ce n’est pas un effet du hasard – que les hommes s’adonnent au harcèlement, injurient et maltraitent jeunes filles et femmes au prétexte de leurs tenues ou parce qu’elles sortent seules, mais ils se déchaînent aussi sur les réseaux sociaux et tous les espaces ouverts aux commentaires publics. La misogynie se clame donc au grand jour, avec une certaine fierté !
Du côté féminin, l’effet viral et cyclonique des réseaux sociaux a joué un rôle crucial. Le mouvement #MeToo, lancé en 2007 aux États-Unis et destiné à être utilisé par les femmes pour libérer leur parole sur les agressions et harcèlements sexuels dont elles sont victimes, s’est mué en 2017, dans le contexte de l’affaire Harvey Weinstein, en justice privée du Net, avec des extensions selon les pays, comme #balancetonporc en France. De témoignages factuels, on est passé à des dénonciations publiques et des prises de position guerrières contre les hommes.
Mise au pilori et lynchage médiatique, c’est la corrida du Net avec un seul objectif : la mise à mort ! Parfois physique, le plus souvent morale, psychologique, sociale, professionnelle et familiale. La marque de l’infamie devient pratiquement indélébile. Le questionnement ici n’est pas de savoir si c’est « justifié » ou non. Il est celui des moyens d’accusation et d’anéantissement de l’Autre. À la foule qui lynche sans procès sur la place du village s’est substitué l’hystérie mondiale d’Internet, machine très puissante et dévastatrice.
Il y a assurément dans le désir d’anéantir l’autre sexe, la recherche d’un sentiment de toute-puissance, sorte d’oxygène vital pour ceux et celles qui en font une profession de foi et le mette en pratique. Cette toute-puissance est offerte par les réseaux sociaux. Sans doute, la dénonciation, le harcèlement, l’injure, l’accusation, la mise au pilori, seul.e derrière son écran, mais avec des milliers de supporters, apportent-ils un sentiment jubilatoire !
Ce phénomène en dit beaucoup sur le danger de la déshumanisation des relations à l’ère du virtuel. Il met en lumière un refus évident du débat contradictoire et du droit à la défense de la personne prise pour cible, mais il est surtout le témoignage d’une sorte de psychose. Le fossé qui se creuse avec l’Autre. La réalité des relations n’est plus vécue. C’est pourtant elle qui amène son lot de nuances dans le regard – et la bienveillance – que l’on porte sur l’Autre. L’Autre est ravalé au rang d’objet ou de déchet. Dépouillé de ses qualités humaines et sensibles, il sert d’exécutoire à un trop plein de frustrations et d’émotions qui ne s’expriment plus dans des circonstances et sur un mode adéquats.
La haine serait le contraire de l’amour. Pourtant, on peut ne pas aimer sans haïr.
Ne serait-elle pas, d’abord, la mesure du degré de désamour de soi-même avant d’être celle du non-amour de l’Autre. Plus l’appauvrissement relationnel est grand, plus le sentiment de dévalorisation face à l’Autre est profond, plus la recherche de toute-puissance sur l’Autre est forte.
Misogynie ou misandrie, c’est le même totalitarisme du sexe qui s’impose et se renforce, sous la loupe grossissante des réseaux sociaux.
Il ne reste plus qu’à espérer que les deux forces finissent par s’annuler.
photo Morgan Badham
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