Comment peut-on être obstiné et ne pas changer ses habitudes de consommation alors que tant d’informations circulent sur la toile, que tant de gens likent ses posts sur la bataille menée contre le sucre ajouté dans les aliments de notre consommation quotidienne?
Il lui est devenu insupportable d’aller faire ses courses dans les magasins, et de constater que tant de produits alimentaires sont transformés avec du sucre ajouté.
Pour lutter contre ce fléau, elle a décidé de créer une communauté sur Facebook. Les membres de son groupe “À bas le sucre ajouté, pour un retour vers des aliments sains et non transformés “ compte 2’200 membres. Cela démontre bien que son combat est juste.
Ensemble, ils partagent des ressources, commentent l’actualité, et réfléchissent à une action pour que l’industrie alimentaire cesse de rajouter du sucre pour nous rendre dépendants de ses produits.
Première action menée par les membres les plus actifs du groupe : débarquer dans les supermarchés un samedi et dénoncer les marques et produits industriels trop sucrés, en protestant et informant le public qui fait paisiblement ses courses pour le week-end.
Ils sont une petite dizaine à se retrouver ce samedi-là. Ils se voient pour la première fois dans la vraie vie. D’habitude, ils échangent uniquement dans leur groupe Facebook.
Les mois passent, les actions continuent. Les points de vue se radicalisent.
Emma a éliminé tout produit industriel de son garde-manger ou de son frigo. Elle dépense beaucoup de temps et d’énergie à fabriquer artisanalement les aliments qu’elle et sa famille consomment quotidiennement. Ses enfants ont l’interdiction d’aller acheter des aliments à la cafétéria de l’école. Ils mangent les lunch box que leur maman leur prépare. Et ils ne sont pas autorisés à aller jouer chez leurs amis, de peur qu’ils n’ingèrent des aliments industriels chez ceux-ci.
Emma s’est renfermée au fil des mois. Elle ne supporte plus les gens qui ne voient pas l’évidence comme elle, les gens qui continuent à s’empoisonner jour après jour. Elle préfère vivre recluse, et continuer à échanger avec ses amis virtuels. Eux ils comprennent au moins.
Emma est aveuglée et enfermée dans sa bulle cognitive. Un espace virtuel nourri par les algorithmes des moteurs de recherche ou des réseaux sociaux, qui identifient les intérêts de leurs utilisateurs et leur véhiculent du contenu en ligne avec leurs préférences.
Si bien que virtuellement, Emma est renforcée dans la perception de son bon droit. En tapant “sucre-ajouté dans les aliments” sur les moteurs de recherche, en likant les posts des groupes qui traitent du fléau du sucre ajouté, en lisant des articles sur ce sujet, elle affiche virtuellement son centre d’intérêt, et elle finit par interagir et échanger avec du contenu ou des gens qui vont forcément dans son sens, perdant de fait son libre-arbitre et surtout son sens critique, puisque tout autour d’elle, lorsqu’elle évolue virtuellement, la conforte dans sa vision, et vient renforcer le prisme à travers lequel elle voit le problème du sucre ajouté dans les aliments, avec comme conséquence une radicalisation de son point de vue et une intolérance face à toute opinion opposée.
Ce que vit Emma, c’est notre quotidien à toutes et à tous.
Nous vivons dans une réalité parallèle. Le monde est devenu binaire. Un pouce vers le haut, un smiley fâché et quelques nuances pour exprimer notre point de vue.
Le monde vu à travers les réseaux sociaux vient renforcer nos biais cognitifs.
Pour chaque information lue, soit en faisant une recherche via un moteur, soit sur un réseau social, pensez nécessairement à chercher une info opposée. Bien évidemment que notre cerveau aime être récompensé en lisant ou en visionnant du contenu qui le réconforte dans son analyse. Plus il sera récompensé à la vue ou à la lecture d’un contenu allant dans le sens de cette analyse, moins il retiendra de l’info venant contredire cette perception de la réalité. Avec comme corollaire une radicalisation des points de vue.
Ne vous êtes-vous pas dit : quel cxx celui-là, je ne vais plus lui dire bonjour, à la lecture de son post sur votre mur Facebook, Instagram ou Twitter ?
N’avez-vous pas été effarés par les partisans d’un président non réélu récemment qui ont assiégé le Capitole ? Des partisans convaincus que l’élection présidentielle était truquée.
N’avez-vous pas pris peur lorsque la vitrine du boucher de votre quartier a été saccagée au nom de la protection de l’animal ?
Les actions radicales renforcées par des débats qui n’en sont pas deviennent monnaie courante.
Tout comme Emma qui ne supporte plus un monde avec du sucre ajouté, prenez garde. Votre vérité n’est pas celle de l’autre. Plus le prisme à travers lequel vous regardez le monde sera nuancé, coloré, moins vous aurez le risque de vous enfermer dans un monde en noir et blanc à la dérive et à la merci des manipulateurs.
Votre bien le plus précieux, c’est votre libre-arbitre. Puissiez-vous le protéger en toute conscience.
Photo by Annie Roenkae
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