À l’ère du tout numérique, il paraît évident que même notre propre identité devrait être digitalisée. Nous avons déjà largement fait le pas sur bien d’autres pans de notre vie privée, quelque fois sans même nous en rendre compte. Quand avez-vous pour la dernière fois envoyé une lettre manuscrite à une connaissance pour prendre de ses nouvelles ? Combien parmi vous, se connectent déjà sur des sites web en utilisant un identifiant Facebook ou Google ? Le paiement sur internet est devenu monnaie courante et ce phénomène s’est accéléré avec le COVID.
Mais alors, pourquoi nos gouvernements sont-ils à ce point en retard sur ces questions d’e-passeport ?
Peut-être que, bien que légitime, la question de la protection des données - utilisée trop souvent à tort et à travers comme étendard par des personnes non initiées - est devenue trop envahissante au point d’en être paralysante. Plus personne n’ose prendre de décision par crainte de se faire taper sur les doigts.
Ne nous tromperions-nous pas cependant de combat ?
Le nombre d’abonnés de Facebook, Instagram et LinkedIn n’a pas désenflé, même après un scandale comme celui de Cambridge Analytica. Quand un abonné quitte l’un de ces réseaux sociaux, c’est pour s’engouffrer dans un autre.
Disons-le clairement, en réalité tout le monde se moque de ses données lorsqu’il s’agit d’aller voir les photos de quelqu’un (par plaisir ou voyeurisme), de montrer au monde entier comme sa vie est extraordinaire en postant dès les premiers flocons de neige une photo de soi, ou alors simplement pour aller visiter des sites pour adultes (environ 40% du contenu web est à caractère pornographique).
Mais quand il s’agit de choses vraiment utiles au quotidien, comme accéder aux transports en commun, régler ses impôts, suivre les résultats des enfants à l'école, effectuer une demande administrative ou dématérialiser son dossier patient et le partager, on assiste à une levée de boucliers sur l’autel de cette protection des données, avec l’argument : « ils vont tout savoir sur moi».
Le 7 mars 2021, les suisses vont voter sur le passeport électronique. Les opposants à ce projet ne sont généralement pas contre le principe, mais plutôt contre le fait que des sociétés privées soient chargées de créer cette solution et potentiellement de l’administrer. Ils ont peur que nos données soient mal utilisées.
J’entends les peurs mais, n’est-ce pas déjà trop tard ? Aujourd’hui quand vous souhaitez ouvrir un compte en banque, louer un appartement ou prendre un abonnement téléphonique, vous devez déjà quasiment dévoiler l’ensemble de votre vie privée avec votre statut familial, vos fiches de paie et vos extraits de casier judiciaire. Le « droit à l’oubli » existe bel et bien mais il n’est que peu connu et encore moins appliqué.
Ne serait-il donc pas plus judicieux de centraliser nos informations dans un système, même créé par une entité privée, supervisée et encadrée par l’État garant des engagements pris ? Surtout que l’État dispose déjà des informations sur papier (passeport, impôts…). Vous voulez ouvrir une ligne téléphonique, votre identifiant électronique vous permet de valider votre abonnement en deux clics. De même, rappelez-vous le nombre de fois où vous avez été obligés d’imprimer un document numérique pour le signer et ensuite le rescanner pour l’envoyer par email, n’est-ce pas stupide et anti-écologique ?
Restons encore plus factuel et prenons un exemple : celui de l’Estonie. Depuis leur indépendance en 1991, les Estoniens ont compris que le numérique allait les aider à faire des économies et leur permettre de rattraper le retard. C’est ainsi que depuis plus de 15 ans, l’Estonie a numérisé tous ses services, allant jusqu’à créer un passeport e-Estonien.
Ce qui est intéressant dans cet exemple, c’est de comprendre pourquoi ils l’ont fait. Il faut se rendre compte que l’Estonie, c’est 27 habitants au km2, soit 10 fois moins qu’en Suisse ; autant dire que les voisins en Estonie ne vous dérangent pas trop. Cette distance pose toutefois un sérieux problème au gouvernement qui doit faire en sorte que tous les citoyens aient accès à l’ensemble des prestations de l’État, ou au moins au minimum administratif. Deux choix se présentaient à eux, soit ils déployaient des centres administratifs partout dans le pays à des coûts gigantesques, soit ils utilisaient la force de la digitalisation. C’est le second choix qu’ils ont fait, faisant ainsi de l’Estonie le premier pays au monde totalement numérisé, et créant par là-même, à bien des égards un tas d’envieux.
Mieux encore : leur avance est tellement considérable dans ce domaine, qu’ils ont décidé d’aller plus loin et d’en faire une force économique en créant, en 2014, un statut d’e-résident pour des personnes et des sociétés hors du sol estonien. Aujourd’hui plus de 35'000 personnes ont ce statut et, en 2018, l’Estonie dénombrait plus de 3'000 entreprises créées par ce biais.
Il est intéressant à ce propos de faire un parallèle avec ce que nous vivons actuellement et le « home Office ». Combien d’entre vous n’ont presque pas remis les pieds dans leur entreprise depuis mars 2020 et travaillent maintenant à la maison ? Ai-je réellement besoin d’être physiquement dans un endroit pour faire du business ? Si je travaille à Genève, qu’est ce qui m’empêche de vivre à Zurich ou d’être un e-Estonien ?
Cet exemple estonien montre que la numérisation permet d’ouvrir des portes parfois même pas envisagées au départ. Pour ceci, il faut être ouvert au changement et je pense que c’est bien là le cœur du problème dès que l’on parle de numérique.
En effet, c’est plus fort que lui, mais l’être humain compare toujours avec ce qu’il connait et a du mal à sortir de sa zone de confort. Chaque fois que l’on parle de numérique, nous essayons de reproduire dans le virtuel ce que nous vivons dans la vie réelle. C’est en réalité assez absurde car, de nombreuses applications virtuelles ne sont physiquement pas possibles et inversement. Laissons-nous donc les possibilités proposées par le numérique, tout en restant lucide et vigilant sur les impacts que cela a ou pourrait avoir.
En conclusion, si nous analysons de façon objective notre comportement, nous laissons partout des empreintes et des données numériques à des entreprises privées qui ont des objectifs bien moins louables que celle des gouvernements. Or, nous ne pouvons plus rester spectateurs du retard pris, retard dû à une certaine lourdeur des processus mais, également, à une connaissance quelque fois trop approximative des tenants et aboutissants de ces nouvelles technologies par les personnes qui doivent prendre ces décisions.
Soyons plus avertis et renseignés sur le numérique, de manière à mieux l’appréhender et tuer les mythes et croyances.
Cela permettra également aux citoyens et aux politiciens de comprendre quels sont leurs rôles et surtout leur pouvoir d’action – qui existe contrairement à ce que l’on veut bien leur faire croire et nous en parlerons dans un autre article - sur ces grands acteurs que l’on pense intouchables plutôt que de tergiverser sur le passeport électronique qui, de toute évidence, à plus ou moins court terme nous parviendra et apportera avec lui une meilleure qualité de service pour le citoyen et une économie importante pour les gouvernements.
Photo by Element5 Digital
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