Comme moi, vous n’avez pu échapper cette semaine à l’ouverture des jeux olympiques en Chine. Comme moi, vous avez sans doute été frappés par le caractère curieux de ces jeux sans public, aseptisés à l’extrême, sur le plan sanitaire et politique, alors même que l’idée de l’Olympisme, croit-on savoir, est de gommer les différences dans des compétitions où les manifestations guerrières sont remplacées par des performances sportives et où le nationalisme est remplacé par la fierté. La nation doit être ici mise en valeur dans une acception positive.
Pendant des décennies, je n’aurais jamais raté une cérémonie d’ouverture des jeux installée dans un fauteuil avec les miens. Je confesse même avoir ressenti de vraies émotions patriotiques à voir défiler mes athlètes favoris, dont les exploits m’ont pendant très longtemps été racontés par un grand-père passionné, lui-même sprinter de haut niveau à son époque.
Et pourtant, cette année, rien de tout cela. Les jeux n’ont plus la même saveur. Serait-ce à cause des controverses politiques au sujet du pays hôte ? Peut-être en partie ; mais il faut bien reconnaître que les jeux ont toujours eu un caractère éminemment politique et que les controverses n’ont jamais fait défaut.
Avant même l’ère des jeux modernes et du Baron de Coubertin, Astylos de Crotone, un athlète sept fois titré entre 488 et 480 av. J-C avait déchaîné les passions lorsqu’il avait opté pour les couleurs de Syracuse en 484 av. J-C, délaissant les Crotonois qui y avaient vu une trahison ultime.
Comment ne pas se souvenir du boycott des jeux de Moscou.
Alors pourquoi ?
Peut-être qu’en ces temps de pandémie et de réchauffement climatique, asperger des kilomètres de pentes de neige artificielle ou construire des bâtiments et des routes à grand renfort de consumérisme laisse un goût d’irréalité dans la bouche quand ce n’est pas un sentiment de dépassé ou de bataille d’arrière-garde.
Ce qui trouble le plus, c’est l’idée que ces athlètes vont s’affronter sans public parce que, franchement, si la performance n’est pas applaudie, à qui est-elle destinée ? Aux officiels? Aux athlètes eux-mêmes ?
Le public, me rétorquerez-vous, est depuis toujours derrière sa télé. C’est vrai et ce n’est plus vrai ; parce que comme beaucoup, je regarderai la descente en différé, à l’heure qui me convient. Terminée cette communion du monde à heure fixe où beaucoup, dans un même instant, nous suivions nos athlètes favoris avec le sentiment d’un partage de la joie. Déjà l’alternance des jeux d’hiver et d’été tous les deux ans a ôté une bonne part de la rareté.
Alors je repose la question : Ces performances à qui sont-elles destinées ? Et, dans la foulée je pose une autre question : Ne sommes-nous pas en train d’assister à la fin de la fête ?
La cloche sonnera lorsque les chronos ne pourront plus se dépasser et que l’humain aura atteint l’extrémité de la limite et la limite de l’extrême m’a-t-on dit. Le monde se désintéressera forcément des exploits.
Je crains que nous n’arrivions même pas jusque-là. En 2028 déjà, le CIO introduira certaines disciplines de e-sport au programme. La plateforme Zwift d’e-cyclisme compte déjà plusieurs millions d’utilisateurs.
Le CIO a profité de la pandémie pour organiser les Olympic Virtual Series, en marge des jeux d’été au Japon avec des épreuves de e-cyclisme et d’e-aviron notamment.
Au fond, nous nous préparons un monde d’événements sportifs sans public qui ne voyagera plus, sans stade et les sportifs courront dans leur salon, sur leur vélo d’appartement ou leur rameur.
De mon côté, parce que je fais partie d’une génération de transition, je garde une pensée émue pour Bernhard Russi et Marie-Theres Nadig, mes premiers souvenirs de jeux d’hiver à Sapporo, pour Vreni Schneider et Pirmin Zurbriggen, pour les crazy Canacs et Franz Klammer, pour l’incroyable Ingmar Stenmark.
Et comme par magie, en écrivant ces quelques lignes, je sens un regain d’intérêt et l’envie d’encourager Marco, Beat, Lara et les autres, sans oublier Fanny.
Citius, altius, fortius
Photo by Frans Van Heerden
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