- Bon sang, qu’est-ce que tu as fait, Ace !
Ace était le diminutif d’ACID : Androïde Capable d’Initiative Domestique.
En ce petit matin d’hiver, sur le seuil du commissariat, Thomas répéta furieux, la gueule de bois :
- Bon sang, qu’est-ce que tu as fait, Ace !
Dans un mouvement d’humeur, il déclina l’offre de service de son serviteur automate.
On ne peut pas dire que le robot fut troublé par l’hostilité de son propriétaire. En revanche, ce qui est sûr, c’est qu’il comprit mal cette soudaine réaction d’agressivité.
Nouveaux calculs. Ace récapitula les faits.
Souvent, au souper, Thomas lui vantait les mérites et les qualités d’une jeune étudiante fréquentée naguère à l’université.
L’ACID avait donc pris l’initiative de lancer une recherche minutieuse dans le but d’obtenir les coordonnées de la personne adulée par son maître. À peine son must accompli, et contre toute attente vers 20 heures, il avait vu Thomas se précipiter tout en joie chez cette femme merveilleuse dont l’automate avait rendu l’existence réelle.
La rencontre organisée s’était déroulée non sans accrocs. Le temps avait arrondi les formes de l’ancienne universitaire. Alors qu’une soudaine coupure d’électricité les avait plongés dans le noir, sur un coup de tête, l’homme avait gaffé et soudain fâchée, elle l’avait chassé.
Thomas avait depuis cessé de répondre aux appels d’Ace. C’est qu’il vidait verre sur verre dans un pub. Comme au retour, son vélo zigzaguait ostensiblement, il fut arrêté par la police pour conduite en état d’ivresse et comme il insultait l’autorité, il avait dû passer la nuit en détention.
Face au ressentiment de Thomas, l’androïde domestique n’avait pu que se rendre à l’évidence : son maître lui en voulait et à juste titre. Le robot n’avait pas prévu un tel déroulement de faits, lourd de conséquences fâcheuses. Il fallait par conséquent procéder d’urgence à une mise à jour.
À cet effet, l’automate consulta son module d’évaluation et son appli de secours philosophique. La première ressource lui indiqua que c’était bel et bien une erreur d’avoir transmis à son maître l’adresse de cette ancienne lubie estudiantine.
- Une erreur, soit, concéda la seconde assistance plus théorique. Mais qu’est-ce qu’une erreur ?
La réponse ne se fit pas attendre :
- Il y a erreur dès lors que celui qui agit ou pense se trompe, lorsque le résultat ne correspond pas à ce que l’on peut attendre ou espérer de positif.
Poussé par le bon sens algorithmique, le module d’évaluation délibéra :
- Reste une question : Qui a commis l’erreur dans le cas qui nous occupe, le maître ou le serviteur, ou encore les deux se partagent-ils une responsabilité ? L’erreur est humaine, pas robotique. Grâce à son intelligence artificielle, l’androïde standard ne peut se fourvoyer. Au service du confort et du plaisir, il ne se trompe jamais.
- Pour le modèle ACID, c’est plus compliqué, enchaîna le philosophe de synthèse. Surtout si, pour plaire à son propriétaire, il lui vient à l’esprit de prendre une initiative, de sorte qu’il ouvre un nouvel horizon. Or, les horizons de l’avenir se succèdent à l’infini et échappent tôt ou tard aux calculs prédictifs.
- Le comble, intervint l’androïde, c’est que je n’ai même pas pu anticiper deux horizons proches, la rencontre avec la femme du passé et celle avec la patrouille de nuit.
- Même ce qui est imminent comporte un degré d’incertitude, trancha la voix péremptoire de la raison.
- Mais alors, au nom de moi, au nom de mon bon fonctionnement, que faire quand le calcul rate irréversiblement ? demanda d’un ton grave Ace qui commençait à surchauffer.
- Cultiver son jardin, répondirent en chœur l’appli de secours philosophique et le module d’évaluation.
Photo Tobias Tullius
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