Dis Siri. Qu’est-ce que le progrès ? Pas de belle réponse à la voix feutrée, juste un renvoi à une page Wikipédia et des excuses du logiciel quand on lui signifie que sa réponse est un peu courte.
Intuitivement, j’aurais dit que le progrès était une avancée vers le mieux, mais me suis vite rendue compte que ce n’était pas aussi simple, et c’est donc confortablement installée dans mon ignorance, que je me suis endormie à la lecture de la quatrième des neuf définitions du Larousse.
Une fois fraîche et dispose, je me suis néanmoins obstinée et laissé entraîner dans les méandres de développements philosophiques compliqués, où l’eschatologie – en bref la fin du monde – s’est invitée dans le débat.
C’est au XVIème siècle, alors que la langue française se structure, que le terme de
« progrès » apparaît, ce qui est piquant parce que le mot naît précisément de la notion qui s’y rattache : la langue progresse et le terme voit le jour.
Sous la plume de Montaigne, le progrès se définit comme « une transformation graduelle vers le mieux ». Brave Montaigne, on est d’accord lui et moi, mais Francis Bacon s’en est mêlé en y ajoutant une notion temporelle de marche vers l’avant.
Au siècle des lumières, le progrès incarne la croyance dans un perfectionnement de l’humanité allant vers une amélioration globale.
Bon, toutes ces explications sont fascinantes, même si je reste convaincue que le progrès tend avant tout à faciliter la vie des flemmardes comme moi, le bénéfice étant, en plus du bonheur, plus de temps et moins de contrainte et de désagréments.
Mais il y a plus : il n’y a pas du progrès mais des progrès : sociaux, économiques, technologiques et j’en passe. Le problème c’est qu’ils ont commencé à s’opposer : Plus de machines et moins de travail ; plus de voitures et d’avions et la planète se meurt ; plus de réseaux sociaux et moins de câlins.
Permettez que je revienne à la paresse et sur l’idée que notre inventivité vise avant tout à nous ôter des désagréments. La liste des exemples est infinie, mais il me semble qu’il y a un domaine qui n’a pas encore été vraiment exploré, c’est celui des sentiments, en particulier les sentiments négatifs.
La tristesse, la peur, l’anxiété.
Il existe évidemment toute une pharmacopée pour permettre à l’humain de ne pas souffrir ou de manière atténuée, mais il y a comme corolaire celui de plus rien ressentir du tout. Et si dans le futur, pour ne profiter que des bonnes choses, on se faisait remplacer par un robot pour tous les événements de la vie à forte charge émotionnelle négative ?
Qui n’a pas rêvé d’avoir un substitut assis à sa place dans la réunion au cours de laquelle votre patron vous explique que, pour des questions de restrictions budgétaires, vous allez être licencié ? Qui ne regrette pas de n’avoir pas eu un double au moment de la négociation des conditions d’un divorce ou au moment de vivre ses derniers instants ?
- Bonjour, je dois me rendre chez le médecin et j’ai peur de ce qu’il va m’annoncer. Avez-vous quelque chose à me proposer ?
- Mais certainement Monsieur, nous pouvons faire une imagerie complète de votre corps à l’extérieur et à l’intérieur – que nous ne regarderons pas bien évidemment – et téléchargerons les images à l’intérieur de l’un de nos robots qui se rendra chez le médecin à votre place.
- Et c’est cher ?
- Ça dépend du service que vous souhaitez. S’il s’agit juste d’une restitution des propos du médecin c’est assez bon marché. Si vous voulez des explications vulgarisées, c’est un peu plus et si vous voulez que l’on vous annonce le diagnostic avec diplomatie et compassion, c’est encore un peu plus.
- Ah je ne sais pas quoi choisir… l’attente va être insoutenable…
- Mais non, c’est le robot. Pas vous…d’ailleurs, on peut même déjà vous préparer un clone pour les pièces…
- Vous pouvez faire cela ? Mais ça doit être horriblement coûteux…
- Il y a des arrangements de paiement possibles : vous pouvez hypothéquer votre maison…
- Je n’en ai pas malheureusement…
- Il reste bien une autre solution, on y a recours de temps en temps…
- Je vous écoute…
- Comme vous serez en bonne santé, vous pouvez travailler pour nous et devenir le substitut d’autres…
- Quoi ? Ce ne sont pas toujours des robots ?
- Pas toujours, pas toujours… vous voyez, il est parfois nécessaire, pour que l’auteur de la douleur ou de la mauvaise nouvelle soit assouvi – que le destinataire la ressente vraiment…
- Alors ça, c’est extraordinaire…Donc, si je travaille pour vous, vous me garantissez une bonne santé… Et quelle serait ma première mission ?
- Laissez-moi voir…hemmm …Femme battue ?
Photo par Morning Brew
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