Il y a 2500 ans, avant que son élan ne soit stoppé net par la boisson, Socrate immobile pendant des heures professait autour de lui à des jeunes gens avides de son enseignement. Grâce à ses questions, il les incitait à accoucher de leur moi intérieur en faisant jaillir leurs propres connaissances, ce qui devait beaucoup plaire car depuis que l’humain est humain, chacun est prêt à payer une fortune pour avoir un interlocuteur attentif à soi-même. Ajoutons que l’enseignement était gratuit, quand celui des sophistes ne l’était pas, et nul besoin d’être devin pour imaginer qu’à l’époque déjà, cela devait être un avantage très concurrentiel.
Oui, mais, Socrate était un philosophe !
Pourtant, dans quelle catégorie mettrions-nous de nos jours un maître à penser qui propose à des élèves un enseignement de vie basé sur une méthode inédite ?
Imaginons qu’il mette en ligne ses cours gratuitement et les diffuse par l’intermédiaire d’un site internet bon marché géré, on s'en doute, par Platon. Sa biographie serait courte car, à part avoir été soldat, il n’aurait pas eu grand-chose à présenter comme CV. Il aurait aimé les femmes, sauf la sienne devenue acariâtre. On le plaindrait de sa mauvaise fortune, en expliquant ses absences du domicile et ses infidélités par le caractère épouvantable de son épouse.
Dirions-nous qu’il enseigne la philosophie ? Probablement pas, car cette discipline très sélecte, réservée à quelques intellectuels qui n’inventent plus rien de nouveau, le regarderait avec dédain.
Socrate aujourd’hui, osons le déclarer, trouverait peut-être un nom plus élégant pour le dire, mais ne serait rien d’autre qu’un coach, peut-être même un gourou contre lequel on mettrait encore la jeunesse en garde.
Platon en effet nous rapporte dans son Apologie que, répondant à Chéréphon l’ami intime de Socrate venu l'interroger à ce sujet, la Pythie elle-même avait dit que Socrate était le plus sage des hommes ; voilà notre coach auréolé d’une légitimité divine qui le fait entrer directement dans le cercle très fermé des prophètes, même si le philosophe aurait rétorqué que sachant qu'il ne savait rien, comment aurait-il pu être plus sage que ceux qui étaient réputés savoir ? D’ailleurs, à son époque, Socrate avait interrogé des hommes politiques, des poètes et des artisans qui se sont tous révélés ignorants à double titre : d’une part, ils croyaient savoir alors qu’ils ne savaient pas et n’avaient pas conscience de leur ignorance.
De nos jours les coach de vie pullulent sur internet et proposent toutes sortes de méthodes plus ou moins originales qui se réclament presque toutes de Socrate. Sur la page Wikipédia consacrée au coaching, il est écrit que « la philosophie est l'une des racines du coaching, dans la mesure où elle est un exercice autonome de la raison, même quand celle-ci est guidée par le dialogue ou par la maïeutique socratique ».
Socrate un gourou ? Maître à penser, il l’a certainement été pour ses disciples et l’est manifestement encore de nos jours. Et même si la tentation a dû être vive, rien dans ce que ses élèves comme Platon ou Xénophon ne relatent, ne rapproche Socrate des dérives sectaires : Pas de foi en lui, pas de hiérarchie, par d’exclus, pas d’argent et pourtant, la ferveur qu’il suscitait aurait pu lui monter à la tête, comme à ce gourou féru d’ésotérisme médiéval qui, en mai 2019, a été transpercé à l’arbalète par une de ses disciples maltraitée ou, comme à cet ostéopathe-gourou français qui en 2018 facturait à prix d’or des consultations à distance, sans que l’on ne puisse pour une fois blâmer le COVID.
Quant à la pandémie, elle favorise évidemment tous les recours aux messageries diverses et variées pour garder le lien entre le ou la maître à penser et ses fidèles. Il existe ainsi sur internet des modes d’emploi sur la manière de construire et faire vivre une communauté à distance. En somme, le guide du parfait gourou en temps de Corona.
La réflexion à laquelle tout cela m’amène est celle de savoir comment sortir de la normalité tout en restant dans la normalité. Peut-on en autodidacte partager des idées ou doit-on faire forcément état de références reconnues ? Y a-t-il encore des idées inexplorées ? Un espoir naîtra peut-être dans un monde post-pandémique à restaurer, ouvrant sur un futur des possibles.
Photo Getty Images
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