Juliette Greco nous a quittés à l’âge de 93 ans, tout doucement, sans faire de bruit, rejoignant peut-être cet amant passionné et interdit qu’elle a connu à l’âge de 22 ans.
On peut souhaiter que dans cet endroit forcément merveilleux – puisque personne n’en est jamais revenu – les ségrégations sociales auront disparu.
Les amours éclair de ce couple, dont aucun des deux ne parlait la langue de l’autre, n’étaient probablement pas fondées sur les échanges intellectuels, preuve que le langage corporel vaut bien tous les autres. Le sentiment dans le creux de l’estomac de l’attente de l’être aimé, le frisson dans le toucher des retrouvailles et enfin l’apaisement, n’ont aucun équivalent.
Combien de couples en sont aujourd’hui réduits à lécher leur écran de frustration ? Peut-on encore parler d’amour platonique lorsque l’amour est impraticable ?
Les amours impossibles célèbres n’étaient impossibles que parce que le plus souvent, les conventions sociales les interdisaient : Juliette Greco était blanche et française alors que Miles Davies était noir et le citoyen d’une Amérique raciste d’après-guerre. Gabrielle Russier avait 32 ans quand Christian Rossi n’en avait que 17 en mai 68, dans la France d’Emmanuel et Brigitte Macron.
À la notion d’« amour impossible » on prête toujours un romantisme romanesque : Romeo et Juliette, Héloïse et Abélard et les plus renversants de tous, Solal et Ariane bien évidemment. En même temps, les amours d’Arletty et d’Hans-Jürgen Soehring, l’officier nazi, ne font pas rêver, pas plus que celles de James W. Whitehouse avec Jane Watkins, rencontrée en prison alors qu’elle était incarcérée à vie pour avoir assassiné Sharon Tate.
Ces relations non consommées ne sont assurément pas des relations platoniques car elles sont aussi éloignées de la pensée de Marsilius Ficinus que David Koresh l’est de Bouddha. Il est d’ailleurs assez piquant de voir que ce philosophe florentin du XVIème siècle a développé aussi bien la notion d’amour platonique, soit ce pur amour poétique, union sacrée des esprits éloignée de l’amour charnel vulgaire, que le tarot de Marseille. C’est à se demander s’il n’était pas en réalité éperdument amoureux d’une donzelle qui se refusait à lui et consultait les oracles pour savoir quand la situation allait se débloquer.
D’ailleurs, ces amours platoniques sont bien mal nommées car Platon lui-même pensait que la sexualité amenait à la vérité et nul ne peut se plaindre de la vérité.
Ce XXIème siècle a vu fleurir les amours électroniques permettant aux amants virtuels d’atteindre cette conjonction des esprits si chère à notre ami florentin. D’ailleurs, la trivialité des rencontres bien physiques n’a pas été sans ruiner mille fois ces âmes sœurs, démonstration s’il en fallait une que parfois, le mieux est l’ennemi du bien.
Aujourd’hui, avec la fermeture des frontières, l’amour est platonique par nécessité. Si parfois les frustrations sont sublimées donnant lieu à une correspondance de temps de crise, le plus souvent, les couples se contentent de se montrer leur meilleur profil sur les plateformes de vidéoconférences en se susurrant des mots doux, tandis que le sexting va bon train, succédané navrant de cette animalité perdue.
Conclusion provisoire : l’amour, c’est écologique quand c’est consommé près de chez soi, mais quelque fois, on ne peut s’empêcher de se languir de l’idée du voyage et du goût acide, amer ou sucré d’un fruit d’autre part, et il ne reste plus qu’à espérer.
Comments