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Les pensées parasites par Katia Elkaim

Dernière mise à jour : 2 mars 2021


Écrire une histoire, l’arbre en face, des feuilles qui bougent, trop froid peut-être pour sortir, bruit de pas, quelle heure ? Trop tôt, sortir le chien, Wikipédia, le Turc, un café déca ? mouche zut, trop mangé, vernis à ongles, masques, délai, encore oublié ma montre, vais me faire tuer, WhatsApp, et sur un chien ?

Un article lu au passage : Des scientifiques mettent au point un système pour traduire directement les pensées par du texte. Grâce à un implant cérébral, on pourra bientôt transmettre nos réflexions à un ordinateur.

Je me suis piquée au jeu et j’ai donc essayé de transcrire mes pensées pendant vingt secondes et voilà le résultat.

Ma conclusion, il est impossible d’éviter les pensées parasites. Imaginons la rédaction d’une nouvelle par l’esprit connecté : « Au temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître…merde je n’ai pas fermé la porte de la voiture…donc reprenons : il y avait dans ce temps…cette phrase est bateau, il faut que j’en trouve une autre…il ne faut pas que j’oublie d’aller à la pharmacie. A quelle heure le dîner ce soir ? Il était une fois…faut que je travaille mon swing…je suis heureuse que mon billet d’avion n’ait pas été annulé…Ce soir qui garde le chien ? »

A propos de chien, je me demande ce que l’implant retranscrirait. Cela m’a rappelé l’histoire de cette jeune femme qui a passé dix ans de sa vie à dresser sa chienne à communiquer avec elle par l’intermédiaire d’une sorte de piano dont les touches correspondaient à des mots. L’animal connaissait une vingtaine de mots mais n’en utilisait que trois : Sortir, manger et jouer.

Qui n’a pas rêvé enfant d’écraser une balle de tennis comme Super Jaimie, ou de tordre une barre de fer comme l’homme qui valait trois milliards ?

Qui n’a pas souhaité avoir les facultés bio-ioniques de ces héros et devenir par le miracle de la science un humain augmenté ?

Pourtant, je suis à peu près certaine que si vous faisiez un sondage dans la rue, la plupart des passants à qui vous proposeriez l’implant d’un mini-ordinateur partiraient en courant. Si secrètement nous aspirons tous, d’une manière ou d’une autre, à la vie éternelle, le mythe de Faust a la dent dure et il faudra pas mal de temps avant que nous ne nous défissions de l’idée démoniaque que toute amélioration de notre condition humaine est issue de l’enfer.

Et pourtant, rien de nouveau sous le soleil.

Laura porte des lunettes de vue, Marie un dentier, Jocelyne a une prothèse de hanche grâce à laquelle elle peut à nouveau monter à cheval. Pierre ne serait pas en vie sans son pacemaker, pas plus qu’André sans sa pompe à insuline. Demain, Romain pourra remarcher, grâce à l’implant de sa moelle épinière qui pilotera son exosquelette ; quant à la petite Marina, sourde de naissance, elle entend par son implant cochléaire.

Mais ce n’est pas tout : jamais sans internet je n’aurais su que le pélargonium et le géranium c’est la même chose et jamais je n’aurais eu connaissance des enfants du Llullaillaco sacrifiés au XVIe siècle pour satisfaire les dieux.

Depuis l’invention du boulier ou de la lance des chasseurs de mammouth, l’être humain est sans cesse en quête d’une manière d’améliorer sa condition naturelle, que ce soit sur le plan physique ou sur le plan intellectuel ; même sur le plan spirituel, tous les rites mis en place n’ont-ils pas pour but de faire s’élever notre âme autrement bassement animale ? Savoir si ça marche est un autre débat.

Alors, je pose la question, pourquoi tant d’effroi ?

crédit photo - (c) David Cassolato

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