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Lettre à Nathan et Samuel par Katia Elkaim

Dernière mise à jour : 18 sept. 2021



Mes chers petits,


Si je vous écris cette lettre, c’est parce que vous êtes cette génération future qui nous préoccupe tant, et au nom de laquelle, les plus grands revendiquent tant d’actions.

Lorsque je suis née, la vie semblait plus facile qu’aujourd’hui. Nous n’avions qu’une seule télévision qui ne diffusait qu’en noir et blanc. Il n’y avait pas de télécommande, mais cela n’avait pas d’importance car il n’y avait pas de chaînes non plus.  À l’âge de cinq ou six ans, j’allais seule à l’école, à pied, et je m’arrêtais chez la boulangère pour acheter un paquet de Sanagol tutti frutti qui coûtait 50 ct. Je prenais le bus à huit ans et trouvais bizarre lorsqu’une maman ne permettait pas à sa fille, ma copine, d’en faire autant. Ça compliquait la vie.

On ne prenait pas l’avion pour aller en vacances, mais on conduisait des heures et des heures. On ne voyageait que rarement. Les grandes personnes fumaient partout. Dans les trains, dans les maisons, dans les restaurants et pourtant, malgré cela, nous n’entendions pas que untel était malade.

J’ai la chance d’être née dans une famille aimante qui me permettait de vivre dans mon enfance. Cependant, sans vouloir minimiser les mérites de mes parents, reconnaissons qu’il était sans doute plus facile de cultiver l’illusion avec une seule chaîne de télévision.

Pourtant, il y aurait eu de quoi dire : 3 millions de morts au Vietnam, au moins 400'000 morts en Algérie, 20'000 morts durant la guerre des 6 jours, 2 millions de morts au Biafra, un séisme d’une magnitude de 9.5 sur l’échelle de Richter et un tsunami au Chili, deux tornades au Bangladesh à deux ans d’intervalle et la grippe de Hong-Kong, une pandémie qui a fait plus d’un million de victimes.

N’en jetez plus !

Vous les militants, vous êtes mignons !

Nous avions Mai 68 et Rosa Parks était déjà montée dans un bus.

Et pendant que je me levais pour allumer la télévision, d’autres sautillaient sur la lune, grâce à quelques femmes noires douées en math.

Les enfants, vous vivez avec vos deux papas entourés d’un amour immense et je sais que vous aussi êtes insouciants, pour l’instant!

Demain, comme vos aînés, vous vous insurgerez, vous écrirez des pamphlets, vous marcherez dans les rues et serez horrifiés par les malheurs du monde.

Non, ce n’était pas mieux avant.

Et ce n’est pas pire maintenant.

Avant, bien avant Fleming et Pasteur, on mourrait d’une infection ou de la variole ou de la rage. Avant, le dentiste arrachait les dents sans anesthésie et le chirurgien n’endormait pas pour amputer une jambe que l’on ne savait pas soigner autrement.

Avant, on exécutait partout et en France, pays des droits de l'homme, on coupait des hommes vivants en deux.

Oui, aujourd’hui il y a l’urgence climatique et cette urgence est mondiale et concerne l’avenir de l’humanité toute entière ; mais comment aller l’expliquer à cette jeune fille lapidée pour avoir osé lever les yeux ? Comment l’expliquer à cet enfant appréhendé pour une peccadille et qui risque la prison à vie ou la pendaison ?

Comment l’expliquer à ces gens qui n’ont plus de moyens de subsistance parce que l’état est en faillite et que le prochain repas n’est pas assuré.

Oui les enfants, vous devrez aller dans la rue, pour le climat, pour les autres enfants, pour les femmes, pour les opprimés de partout, pour éviter la guerre et promouvoir un monde plus juste, parce que nous les humains, c’est ce que nous devons faire lorsque l’enfance, qui n’est bénie que pour certains, disparaît et que l’on prend conscience.


Photo by Pixabay

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