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Make your bed and lie in it (version française) par Nigel Roth




En 2010, Bill Bryson, réputé pour ses récits de voyage et ses aventures comiques, décida qu'il n’allait pas s'embêter à aller quelque part pour son prochain livre, et resta donc chez lui où il écrivit At Home.


Au cours de ce tour guidé de sa maison victorienne, il se promena dans chacune des pièces et décrivit l'histoire des différents objets qui s'y trouvaient. C'était une idée originale et grandiose pour un ouvrage, qui lui permettait de se déplacer dans sa propre maison pendant des mois, allant de pièce en pièce en buvant du thé, mangeant des biscuits et, je le soupçonne mais je ne peux pas le confirmer, en faisant des siestes périodiques sur quelques chaises idéalement disposées à cet effet.


Il s'avère que Bryson était un prophète aussi bien qu'un auteur.


Mais j'aimerais faire mieux, car je ne parviens même pas à me donner la peine de quitter ma chambre à coucher, ni même pas mon lit, et cet écrit va donc être consacré au lit.


Un lit. Deux lits, en fait.


Pour parler du premier, nous (enfin, vous, en fait, parce que je reste où je suis) devons remonter jusqu'en 1590, une année assez étrange.


C'est l'année où Maurice, prince d'Orange, captura toute la ville de Breda, dans le sud des Pays-Bas, grâce à soixante-huit soldats qui percèrent les défenses de la ville en se cachant dans un bateau de tourbe. C'est aussi l'année où le gouverneur John White a perdu une colonie américaine entière, celle de Roanoke, et dont les habitants n'ont jamais été revus, malgré plusieurs tentatives pour les retrouver.


Enfin, c'est aussi l'année où Jonas Fosbrooke, charpentier du Hertfordshire, construisit un énorme lit à baldaquin, sculpté dans du chêne, de 3, 4 mètres de long et 3, 3 mètres de large, susceptible de recevoir confortablement "au moins quatre couples".


La biographie du second lit commença cent cinquante-cinq ans plus tard, en 1745, lorsque James Graham naquit à Édimbourg, voué à faire son propre lit et à s'y coucher.


Bien que le lit fabriqué par Fosbrooke ait été évoqué par des génies littéraires tels que le dramaturge à l'existence douteuse, William Shakespeare, dans Twelfth Night, le dramaturge à l'existence certaine Benjamin Jonson, dans Epicoene, et le poète qui n'était pas un lord, George Gordon Byron, 6e Baron Byron, dans Don Juan, nous ne savons presque rien de Fosbrooke lui-même.


Nous savons que le lit se trouvait dans une immense chambre de l'auberge White Hart, dans la ville de Ware, et qu'étant donné sa taille, il a probablement été fabriqué sur place. Fosbrooke était certainement un artisan accompli et certainement très respecté de la guilde des ébénistes.


James Graham, quant à lui, ne voyait pas l'utilité de posséder un quelconque diplôme. Il avait abandonné l'école de médecine sans obtenir de titre pour s'installer comme apothicaire dans le Yorkshire et, en 1770, vivait en Amérique, parcourant les colonies en tant qu'occuliste et auriste, insérant des prothèses oculaires dans des orbites vides et pratiquant des opérations de la cataracte.


Pendant ce temps, à Ware, Fosbrooke perfectionnait son art en sculptant des motifs de la Renaissance européenne sur les panneaux de son Grand lit de Ware, et en y ajoutant de la marqueterie inspirée des dessins de l'architecte, peintre et ingénieur néerlandais Hans Vredeman de Vries, dont la renommée avait atteint son apogée à la fin des années 1500, avec ses livres sur les ornements. On ne sait évidemment pas où et comment Fosbrooke a acquis ces livres, mais le fait qu'il l'ait fait suggère un certain niveau d'alphabétisation et d'intelligence, ou de très bonnes relations avec la ville voisine de Londres.


A Philadelphie, Graham, quant à lui, ne se perfectionnait pas mais apprenait plutôt un nouveau métier. Il s'agissait des principes de l'électricité, et il était formé par nul autre qu'Ebenezer Kinnersley, le meilleur ami de Benjamin Franklin et son partenaire dans l'innovation. Avec ces nouvelles connaissances à bord, et la Révolution américaine qui fredonnait bien trop fort à ses oreilles, il reprit la route et revint à Bristol.


Et c'est ici que les chemins de Fosbrooke et de son artisanat exquis, et de Graham et de sa pseudo-quackery se distinguent vraiment.


Le Grand Lit de Ware, qui avait connu nombre de "copulations et de plaisirs" au White Hart lorsque ce genre de passe-temps était acceptable, fut beaucoup moins utilisé comme lit à occupation multiple au Saracen's Head en bas de la rue, où il fut déplacé au cours du XIXe siècle, lorsque les Victoriens oublièrent le plaisir et firent preuve de stoïcisme à son égard, du moins en public.


Plus tard, vers 1865, le Victoria & Albert Museum se vit proposer le lit et frémit à l'idée de l'acheter pour sa propre collection, déclarant qu'il s'agissait d'une "relique grossière et détériorée qui ne pouvait en aucun cas convenir pour une nouvelle acquisition". Cinq ans plus tard, il fut à nouveau déplacé, cette fois dans l'ancien manoir fortifié de Rye House, où il resta dehors sous le climat anglais, se décomposant encore plus, comme beaucoup d'entre nous sous ce climat, que nous soyons dehors ou pas.


La décrépitude, à l'inverse, devint le centre d'intérêt de Graham, ou, plus précisément, son inversion.


Au retour d'un voyage en Europe, Graham, avec l'aide de la mère de la duchesse de Devonshire, ouvrit un spa, l'équipa d'une pléthore d'accessoires et commença à voir et à traiter des patients avec de l'électricité, du magnétisme, de la musique, des baumes alchimiques, des gaz et des médicaments de sa propre invention : les "Electrical Aether" et "Nervous Aetherial Balsam".


Il nomma son spa le Temple de la Santé, et son succès fut assuré grâce à ses assistantes "médicales", connues sous le nom de Déesses de la Santé, employées surtout pour exhiber leurs corps comme des modèles de perfection physique. C'est d’ailleurs là qu'Emma Hamilton, la maîtresse de Lord Nelson, fit ses débuts.


Cette activité rapporta à Graham de la richesse, une renommée sociale et un grand nombre de visiteurs, dont la marée était gérée par ses " portiers " géants, surnommés Gog et Magog, lesquels maintenaient l'ordre dans le temple.


Si Fosbrooke a, par inadvertance, permis aux couples d'explorer les merveilles du mariage au XVIe siècle plus ouvert, le XVIIIe siècle exigeait que tout conseil sérieux sur le bonheur dans le mariage fût prodigué par des spécialistes respectables.


C'est alors que Graham entra en scène et créa son deuxième spa, dont la vocation était légèrement différente du premier. En 1781, le Temple d'Hymen ouvrit ses portes.


Au centre du grand atrium, sur lequel était inscrite la phrase "Soyez féconds, multipliez et repeuplez la terre", se trouvait le chef-d'œuvre de Graham, le Grand State Celestial Bed.


Bien qu'il soit presque de la même taille que celui de Fosbrooke, soit 2,7 mètres sur 3,7 mètres, il proposait quelque chose de tout différent.


Un couple qui s’y serait allongé aurait regardé l'énorme dôme au-dessus et aurait entendu les automates musicaux jouer de douces mélodies. Des fleurs fraîches auraient été suspendues sur le bord, à l'intérieur desquelles des tourterelles auraient roucoulé doucement, tandis que les occupants se seraient délectés de fragrances orientales stimulantes qui y étaient diffusées. Quarante piliers de verre créaient un champ électromagnétique qui faisait des étincelles tout autour des visiteurs, et les yeux de ces derniers voyaient tourbillonner un mouvement d'horlogerie célébrant le dieu du mariage.


Mais ce n'était que le prélude à l'événement principal.


En effet, une fois nus, le cadre du lit s'inclinait jusqu'à ce qu'il atteigne la "position de la meilleure conception", selon Graham, et à ce moment-là, des tuyaux d'orgue commençaient à émettre des grognements graves qui s'élevaient et s'intensifiaient avec l'activité croissante du couple en train de copuler, jusqu'à ce que l'expérience se termine par un final musical.


Alors que les années folles atteignaient leur propre apogée, plusieurs organisations commencèrent à penser que le vieux lit de Ware, avec sa construction raffinée et ses délicieuses sculptures, méritait peut-être d'être sauvé.


Mais personne ne pensait la même chose de Graham, dont les prouesses entrepreneuriales commençaient à décliner. Sa soudaine disgrâce semble avoir coïncidé avec ses conférences très explicites sur la façon de concevoir et son insistance sur le fait que le sexe était un "acte patriotique". La moitié féminine de son public a sans doute exprimé son désaccord avec véhémence, mais lorsqu'il dénonça la prostitution, la moitié masculine a sans doute tourné les talons et s'est dirigée vers Covent Garden, avec un exemplaire de la Harris's List bien caché dans leurs sous-vêtements, s'ils en portaient.


Et ainsi Graham fut laissé, comme le Grand Lit de Ware, à l'abandon.


Il retourna à Édimbourg, où il exposa ce qui restait de son Grand Lit Céleste d'État et créa la thérapie du "bain de terre". Il donna des conférences et prêcha sur des sujets tels que la religion et l'alimentation, l'antiesclavagisme et les droits des femmes, tout en étant enterré jusqu'au cou dans la boue au milieu de la rue.


On ignore combien d'enfants ont été conçus sur le Grand Lit Céleste d'État et si celui-ci a apporté une aide précieuse aux couples dont le mariage manquait d'une certaine étincelle. On ne sait pas non plus si le Grand Lit de Ware, qui lui était dépourvu de toutes les cloches et de tous les sifflets de Graham, a connu un même succès en favorisant la conception d'une progéniture.


En 1931, le Grand Lit de Ware fut finalement sauvé de son emplacement dans un jardin, avant d'être consolidé et restauré à grands frais par, et vous l’aviez deviné, le Victoria & Albert Museum.


En 1794, après avoir expérimenté le jeûne comme moyen de retarder l'inévitable, Graham mourut, à peine âgé de cinquante ans.


Une fin heureuse pour Fosbrooke, une fin prématurée pour Graham.


Photo by Pixabay

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