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Mon nom est noir irisé par Katia Elkaim



Il a fallu une petite quarantaine d’années pour que je comprenne deux choses importantes : La première est que tout le monde ne voit pas une couleur associée à un mot et la seconde que ce phénomène, porte un nom : la synesthésie.


Dans ma famille, nous sommes plusieurs à avoir cette bizarrerie ; ma mère la première, puis ma sœur. Autrefois, nous jouions elle et moi à comparer nos coloris : « Pour toi, Pascal, c’est quelle couleur ? » Nous nous étonnions alors de nos différences en répondant : « Mais pas du tout, Pascal c’est vert-brun » !


Petite fille, je croyais que tout le monde donnait un genre et un caractère aux chiffres. Le 5 est masculin, petit de taille, malin et jaune et le 8 féminin, bienveillant, un peu bête et bleu layette, et ma sœur croit toujours qu’on a tous une vision spatiale des mois de l’année et que le mois de novembre est en haut à gauche.


Notre mémoire est d’ailleurs intimement liée à cette association phonème-couleur. Dans mes jeunes années d’assistanat universitaire, je jouais à mes heures perdues au Memory, vous savez ce jeu où l’on doit retrouver le double d’une image en les retournant une à une. Alors que j’étais très douée avec la version matérielle de ce casse-tête, j’étais totalement inapte dans sa version informatique. Le mystère fut résolu le jour de l’arrivée des écrans en couleur et c’est là que je pris conscience de l’importance de cet équilibre mnémotechnique.


Aussi n’était-ce que justice que quelqu’un, un jour, nomme ce qui trame ma vie depuis la naissance.


Ce quelqu’un figurez-vous était le Dr Thomas Woolhouse qui, le premier au 18è siècle trouva surprenant qu’un jeune homme devenu aveugle voie des couleurs lorsqu’il entendait de la musique. En 1912, le grand Jung lui-même s’est intéressé à ce phénomène avant de le mettre au rebut, face à la montée du behaviourisme. Il faudra donc attendre les années 90 pour qu’enfin un groupe de scientifiques s’intéresse à l’une des formes de synesthésie, celle dite « graphème-couleur », la plus répandue : la mienne.


Apparemment cette faculté est génétique et liée au chromosome X. Merci Maman !

Dans les faits, certains stimuli actionnent simultanément des zones du cerveau qui ne le sont pas d’habitude chez d’autres. On trouverait une large prévalence de synesthètes chez les personnes atteintes du spectre autistique ; et si 4% de la population est concernée, on ne dénombre pas moins de 152 différentes formes d’associations parmi lesquelles, les lettres/mots avec les couleurs et les sons avec les couleurs ne sont que des exemples les plus courants.


Vous vous souvenez tous du poème « Voyelle » de Rimbaud ?


Parmi les troubles associés, le manque total de sens de l’orientation avec confusion entre la gauche et la droite – Maman, pourquoi tu m’as fait ça – et une inaptitude en calcul qui frise la dyscalculie. Pour tout vous dire, si mes géniteurs ont oublié certaines aptitudes bien utiles au quotidien, ils ont jugé bon de me doter de deux rates supplémentaires : Merci beaucoup !


Quoi qu’il en soit, ma sœur et moi sommes bien accompagnées dans le Who’who de la synesthésie avec Duke Ellington, Petrucciani, Lady Gaga, Kandinsky et Nabokov notamment.


Nous sommes apparemment des créatifs.


Au fond, tout le monde s’en fiche mais ça me faisait du bien de penser pendant une minute que quelque chose d’autre que l’adhésion ou la non adhésion au vaccin, l’opinion que j’ai ou que je n’ai pas sur la crise climatique, la politique du Conseil fédéral, d’Emmanuel Macron ou des États-Unis, m’a relié quelques instants à d’autres êtres humains dans ce qu’il ya de plus poétique.


Photo by Anni Roenkae

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