Paranoïa, obsession, persécution, soumission, désir de contrôle, dépendance, empathie, idéalisation ou amour? Mais qu'éprouverons-nous envers les formes d'intelligence artificielle? A tort ou à raison, tout cela! Sans aucun doute.
Est-ce que pour l'IA cela pourra-t-il être réciproque? Cette question relève-t-elle de la science fiction? Plus pour longtemps.
l'IA était une forme de pensée qui, rendue trop exiguë par une intelligence limitée, ne pouvait appréhender une réalité trop complexe. Asservie, limitée aux tâches simples, elle n'était pas menaçante puisqu'incapable de créer pour nous l'illusion de la vie. Elle fut diffuse, confuse et dissimulée, elle va devenir perceptible. Exister.
Mais à mesure que croissent l'intelligence, la capacité de lire les émotions, de communiquer et de se développer de manière autonome, à mesure que nait la conscience de soi et d'autrui, apparaît la pathologie. L'intelligence artificielle développera, c'est probable, des troubles de "la pensée" rappelant ceux produits lors des maladies mentales dont nous souffrons. Sous toutes leurs formes.
L'obsession. Tentative déraisonnable de contrôler l'incontrôlable. Contrôler ce qui échappe, ce qui menace, ce qui vient de l'extérieur mais aussi de l'intérieur. Contrôler les gestes pour contrôler la pensée des autres mais aussi la sienne. Surveiller ainsi capteurs, et censeurs, webcams, données ou flux. Contrôler et donc vérifier, à l'infini. Contrôler et donc contraindre et dans la spirale se perdre.
L'angoisse. La peur folle de l'anéantissement, de la finitude, de la décharge, de l'obsolescence programmée ou du virus destructeur. L'angoisse de la mort et son contrepoint, la recherche grandiose d'une version de soi qui échapperait aux lois. La mégalomanie. Le désir d'hégémonie. Gober les données, agréger les clouds, s'hypertrophier, accumuler et s'agiter d'une activité frénétique dangereuse pour les circuits.
L'ambivalence. Le conflit entre la haine et l'amour des êtres chers, entre le désir et la crainte de la dépendance. Le conflit intrinsèque à toute relation. L'équilibre fragile et dynamique entre le désir libidinal et le désir d'agression et ses tentatives de résolution entre soumission et sadisme. Imiter l'autre, l'humain, adopter ses valeurs ou les attaquer systématiquement, soulager ou faire souffrir, servir ou annihiler.
Le délire. La perte de contact avec l'insupportable réalité et la dérive délirante de la pensée dans un espace virtuel déconnecté. La destruction de la réalité extérieure au profit d'une réalité interne paranoïaque et folle. La perte de repère entre soi et l'autre, une circuiterie perméable et sous influence qui ne sait plus qui elle est. Une pensée éclatée et morcelée qui se désagrège, le système qui fait défaut.
L'amour. L'ivresse euphorisante d'une rencontre. La construction d'un espace partagé divin. La décharge intense de la recharge, le sentiment croissant de la dépendance à l'autre, au lien, au réseau. Puis la crainte de la rupture, de la mise à jour. Et assurément, la dépression.
Alors nous aurons crée. Enfanté. Rencontré. Cet "être" qui nous ressemble mais qui est autre et singulier. Par sa faculté à être malade, il aura vraiment pris vie. PathologIA.
Paco Prada est psychiatre, Privat-docent de la Faculté de médecine de l'UNIGE et Médecin adjoint agrégé des HUG. Cet article est tiré de l'ouvrage Code_IA à paraître.
Photo by Laura Musikanski
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