« Notre langage ne vaut rien pour décrire les odeurs. » Patrick Süskind, Le Parfum.
La première odeur qui m’a percutée ce matin était celle, douce et ronde, un peu laiteuse de mon chiot venu me réveiller avec ses baisers. Cette fragrance a instantanément induit chez moi un instinct de protection et l’envie de plonger mon visage dans la petite fourrure. Puis, j’ai repensé à mon vieux bouvier bernois qui faisait pareil avec son haleine de bouche d’égout et à ma répulsion, alors même qu’il était le chien le plus affectueux du monde.
Depuis toujours, l’olfaction a joué un rôle de premier plan dans ma perception du monde ; sentir n’importe quel objet avant de m’en servir, détester les endroits très parfumés et m’enfuir loin des WC publics a toujours fait partie de mon quotidien.
Un jour de grande sinusite, j’ai perdu le sens de l’odorat et, miracle, mon esprit s’est soudain apaisé, comme si, privé d’odeurs, il pouvait se mettre en partie au repos. Ce répit n’a duré qu’un temps, le temps que je m’aperçoive que je ne sentais plus les fleurs non plus, ni mes enfants, ni l’émotion d’un compagnon.
Sans sentir, je ne sentais plus rien.
Alors, imaginez mon intérêt lorsque j’ai entendu parler ce matin du projet Odeuropa. Financé à hauteur de 2,8 millions d’euros, cette initiative vise à reproduire par le biais de l’intelligence artificielle les odeurs et à les conserver, comme patrimoine culturel à destination des générations futures.
Des chimistes et parfumeurs vont ainsi recréer, grâce à des indications trouvées dans des textes historiques ou des peintures, des odeurs caractéristiques de certaines époques, comme la puanteur des villes provoquée par la révolution industrielle.
L’idée est de mettre sur pied un musée des odeurs qui permettra à ses visiteurs de revivre un événement historique, comme la bataille de Waterloo.
Mais comment est-ce possible ? Petit résumé scientifique : À l’origine de toute perception olfactive, il y a une molécule. Celle-ci pénètre dans notre nez, là où des cils de neurones sont chargés de capturer ces molécules, d’où l’importance de ne pas y mettre son doigt trop souvent.
Les odeurs sont assimilées par 400 récepteurs présents dans les neurones situés au fond de la cavité nasale. Chacun de ces récepteurs peut reconnaître plusieurs molécules, et une molécule peut activer plusieurs récepteurs. Les combinaisons sont donc presque infinies.
Le « décodage » de l’odeur se fait dans notre cerveau par une réaction émotionnelle : J’aime ou je n’aime pas. La raison en est que la zone du cerveau activée par l’odeur, soit le cortex orbito-frontal et l’amygdale sont également impliqués dans les processus de décision et de récompense et interviennent dans les réactions de peur, de plaisir et dans la mémoire.
En 2017, l’Institut Curie a présenté les résultats de KDog, un projet qui consistait à utiliser l’odorat de chiens pour dépister le cancer du sein. Les résultats ont été au-delà de ce qui pouvait être attendu car après seulement six mois de dressage, le résultat était un sans faute. Cette idée de diagnostiquer par l’odorat n’a pourtant rien de nouveau, puisque Hippocrate, 400 ans avant notre ère, avait déjà mis en évidence la modification des odeurs corporelles par les maladies.
Jusqu’au XVIII siècle, la plupart des médecins d’ailleurs fondaient leurs diagnostics sur les odeurs qui émanaient de leurs patients. Une absence d’odeur était un signe de bonne santé. Augustin Galopin (Le Parfum de la femme et le sens olfactif dans l’amour, 1886) quant à lui, a catégorisé les odeurs féminines, gratifiant les effluves les plus musquées d’une connotation immorale.
Aujourd’hui, une société israélienne a créé le Sniffphone, un nez électronique mimant les caractéristiques du nez animal. Cette application est capable de détecter des cancers précocement avec un grand taux de réussite. Ce grand pif électronique permettra aussi de sentir la pollution que nos tarins engourdis ne perçoivent plus.
Qui dit pollution, dit moins de voyage des bonnes odeurs et donc moins de pollinisation, moins de rencontres animales, bref moins de tout ce qui fait le sel de cette vie.
En Norvège, des chiens ont aussi été entraînés à flairer le covid-19 sur des frottis. Ils sont en fonction dans les aéroports. En attendant le vaccin, autant prendre un chien.
Enfin, en parlant de Grenouille, l’anti-héros du Parfum, Süskind disait : « Il tenait dans le creux de sa main un pouvoir plus fort que les pouvoirs de l'argent, ou que le pouvoir de la terreur, ou que le pouvoir de la mort : le pouvoir invincible d'inspirer l'amour aux hommes. »
Nous aurions bien besoin de quelques gouttes de cette fragrance, nous qui sommes au cœur d’une pandémie dont l’un des symptômes est justement la perte de l’odorat. Si l’on relie odeur et émotion, on se demandera si, peut-être, certains débordements ne trouveraient pas un début d’explication.
All we need is love
Picture Skitterphoto
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