Si nous vous disons « trou dans la couche d’ozone » ou pollution au CO2, vous savez immédiatement de quoi nous voulons parler ; mais si maintenant nous évoquons avec vous la pollution liée à notre consommation numérique tout devient plus flou, alors même que nous générons chaque jour des données en insondables quantités. En parler est un vrai défi en matière de communication, car cette pollution, contrairement à d’autres est impalpable. En outre, en ces temps de pandémie, notre dernière fenêtre sur le monde ayant bien souvent la forme des 13’ de nos écrans ou du rectangle de nos smartphones, est-on sur le point de devoir renoncer à ce qui nous paraît être le dernier espace de liberté ?
Comment en parler ? Rien de mieux que l'image et la comparaison pour visualiser l'immensité et la progression constantes de ce flux de données.
Il n’y a pas si longtemps, comparer des données était la chasse gardée de quelques slides Excel de marketing et de nombreux bâillements.
Maintenant, comme un rituel matinal bien rôdé, nous suivons l’évolution de la pandémie, confirmons que nous avons bien dormi et suivons avec intérêt les statistiques des matchs, même si c’est parfois un peu douloureux.
On mesure tout !
Nous mesurons pour trouver la cause de nos maux et prédire leur évolution.
Nous mesurons ce que nous n’avons pas vu venir et pas perçu sur le moment.
Nous mesurons pour rendre visible ce qui est invisible.
Ces « comptes rendus » visuels, aussi appelés infographies ou dataviz, sont particulièrement attirants lorsqu'ils nous proposent des données auxquelles nous n’avons pas accès. À l’aune de ces miroirs infinis sur le monde, la visualisation des données de la consommation pornographique est particulièrement captivante.
Hormis au moment d’évènements ponctuels, comme la coupe du monde de foot ou la fête des Vignerons – toute occasion est bonne à prendre – la consommation pornographique varie peu d’année en année.
Mais en 2016 et en 2018, deux nouvelles catégories ont fait leur apparition dans les recherches les plus fréquentes : "Overwatch" et "Fortnite". Il s'agit de jeux-vidéos très en vogue qui fonctionnent tous deux sur le même concept : Être le dernier survivant d’un grand nombre de joueurs simultanés. Une telle popularité ne pouvait que générer un détournement pornographique de leur contenu. Des graphistes ont ainsi repris les principaux personnages de ces jeux en leur faisant subir les derniers outrages.
Notons au passage que l’érotisation de personnages de jeux reproduit des poncifs à la dent dure, combattus par les mouvements féministes, puisque ces caricaturistes montrent toujours les personnages masculins bien musclés et les femmes avec de grosses poitrines. Une vision qui transcrit bien à qui sont destinés ces détournements, même si depuis longtemps, les jeux-vidéo eux-mêmes ne sont plus un passe-temps de niche.
L’érotisation des personnages fictifs ou les détournements pornographiques posent cependant bien d’autres questions, car il n’est pas rare que les contenus mettent en scène des jeunes filles, voire des fillettes.
Pensez à n’importe quel dessin animé pour enfant et vous en trouverez une variante porno. C’est la règle 34 : si quelque chose existe alors on en trouve une version porno affiliée.
Dans la mesure où ces contenus n’impliquent aucun être vivant, sort-on du cadre juridique qui protège l’enfance ? En d’autres termes, si un dessin animé montre Oui-Oui ou la Petite sirène dans une position scabreuse, les consommateurs de ces images sont-ils punissables ?
La question peut être étendue à tout type de contenu créé de manière numérique et même généré par une intelligence artificielle. Si les mangas érotiques et les Hentai existent depuis bien longtemps, la profusion de ce type de contenu semble cependant s’élargir d’année en année et leur production toujours plus aisée.
La question fondamentale à se poser est celle de savoir ce que l’on veut protéger.
En droit Suisse comme d’ailleurs dans les autres pays, la première sphère de protection, évidente, est l’enfance. Il est donc forcément interdit de mettre à disposition d’un enfant du contenu pornographique de quelque nature que ce soit, même s’il est légal pour des adultes consentant à sa consommation. Et puis, il y a la pornographie dite « dure » dont la création, la diffusion ou la consommation sont purement et simplement interdites.
La pédopornographie, soit celle qui implique des enfants ou même la représentation de l’enfance mêlée à de la sexualité, est interdite sous toute ses formes. Le but est de protéger le développement psychique des mineurs.
Cela, tout le monde le comprend.
Toutefois, la raison d’être de ces règles vise également à prévenir l’effet incitatif que le visionnement d’images pourrait avoir sur le spectateur, protégeant ainsi de manière indirecte les victimes potentielles d’une exploitation sexuelle.
En ce sens, une création originale d’images pédophiles par une IA rentre sans aucun doute dans le champ d’application des normes, car pour l’heure, l’IA doit s’appuyer sur un set d’images existantes pour recréer une image nouvelle.
Suivant la même méthodologie que le projet « This person does not exist » qui générait des photos d’un réalisme épatant de personnes qui n’existent pas, une équipe de créatifs a mis au point « This foot does not exist » permettant à un bot (le logiciel pas l’humain à qui il manque un pied) d’envoyer des photos de pieds sur demande. Les résultats étaient moins probants, mais montrent la simplicité du processus si la personne est mal intentionnée. À cela s’ajoute une difficulté supplémentaire en cas de pédopornographie car, avec du contenu généré, la piste des images d’origine se perd, rendant impossible le traçage des réseaux illicites.
Autre est la question de savoir comment l’on traite les images de synthèse, les dessins animés ou encore les montages qui représentent des actes de pédophilie, mais où aucun enfant n’est impliqué de près ou de loin. La réponse légale et jurisprudentielle est claire. La représentation et la mise en scène d’enfants avec la sexualité est interdite. Cette prohibition formelle ne peut être en lien qu’avec le but de prévention du passage à l’acte, même s’il semblerait que la consommation d’images aurait plutôt un effet prophylactique que le contraire. Elles seraient même un élément utilisé à titre expérimental dans le traitement de ce type d’addiction. Comme pour les personnes ayant des pratiques sexuelles moins déviantes, la pornographie pourrait être un outil cathartique permettant de satisfaire des pulsions.
Il faut être clair cependant : la consommation de contenu pornographique, même numérique, mettant des enfants en scène est strictement prohibée. Plus largement, la fabrication, la mise en circulation et la consommation d’actes de pornographie dite « dure » - on comprend notamment dans cette définition la zoophilie et la pornographie violente - sont également prohibées. C’est ici que les dessins animés surfent si bien avec les limites de la légalité ; quand a-t-on affaire à un animal et quand a-t-on affaire à un monstre ?
Si le risque de passage à l’acte avec une licorne ou un centaure ou un mélange des deux paraît assez faible, c’est bien l’idée de l’assujettissement sexuel et de l’humiliation qui sont proscrits.
L’industrie du porno, influencée par l’entreprise Mindgeek qui jouit d’une position de monopole en étant propriétaire de tous les sites coquins que vous pourriez énumérer, a trop largement pignon sur rue pour se plier ou s’adapter aux changements sociétaux constants qui prônent le respect de la femme et l’égalité des sexes. Sujet tabou pour certains ou peu digne d’intérêt pour d’autres, la réalité derrière la production de ces contenus pornographiques émerge peu à peu de l’ombre. Netflix a abordé la question dans des documentaires et des séries. L’année passée, Pornhub, l’une des plateformes les plus visitées a fait une réelle purge, après avoir été accusée d’héberger du contenu illicite. Le site n’a conservé que celui dont les producteurs étaient vérifiés.
Toutefois, Pornhub ne propose qu’une infime partie de ce qui est disponible sur la toile et il est très aisé de trouver une multitude de contenu digital prohibé.
Le paradoxe de tout ceci est qu’aucune interdiction n’a cours lorsqu’il s’agit d’œuvres artistiques. Il fallait bien une échappatoire sous peine de finir au trou, sans mauvais jeu de mot, en regardant du Pasolini. Le film Cannibal Holocaust a néanmoins dû prouver devant un tribunal que les scènes gores avaient été tournées à l’aide d’effets spéciaux et qu’aucun animal n’avait été blessé.
On le comprend intuitivement, la limite est ténue, lorsqu’il s’agit de créations originales animées ou digitales, entre du pur contenu pornographique et la notion d’œuvre d’art.
En réalité, on ne peut débattre de ces questions sans en appeler à l’éthique et la morale qui s’invitent forcément dans la discussion. Ces notions sont cependant dynamiques et évoluent au fil du temps. Quoi qu’il en soit, et comme toujours, l’intention est au centre du débat, parce que l’arbitrage lui reviendra.
La lutte contre la pédopornographie a malheureusement encore de beaux jours devant elle. Quant aux autres formes de pornographie digitale ou animée, nous sommes curieux de voir dans quel sens le vent va tourner.
Pikachu a encore le temps de souffler !
Photo by Mentatdgt
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