Loin nous semble l’époque où le sociologue français Bourdieu défendait l’idée que la “Jeunesse” n’était qu’un mot, expliquant qu’aucune catégorie sociale homogène ne pouvait être décrite par ce terme.
Pourtant, aujourd’hui, malgré les différentes crises sociales que nous traversons - le “nous” n’existant que pour créer une identité en opposition à un “eux” - Nous tentons encore vainement de trouver des dénominations communes pour les jeunes générations. De la locution générale de “jeunes” nous parlons à présent de la Gen Y, Gen Z, des “Millenials” ou même des “Digital Native”. Des noms vagues, mais qui doivent permettre de créer des identités communes et de raisonner sur ces cohortes qui sont pourtant nées au cours de périodes plus ou moins larges. Si différents, ces jeunes auraient cependant un point commun essentiel, ils ont grandi dans un monde où la technologie était présente. Du walkman au minitel, des consoles de jeux aux ordinateurs portables, ils ont évolué dans un environnement où l’informatique a fait ses premiers pas en même temps que les leurs et où, à présent, elle court à leurs côtés. Ils sont nés avec la technologie, alors ils la comprennent.
Mais soyons peut-être un peu plus pragmatiques ; ils sont surtout à l’aise avec un smartphone et leur ordinateur dans le cadre d’un usage commun. Avec un peu de cynisme disons qu’en réalité, en moyenne, ces jeunes générations sont surtout capables de passer d’un réseau social à la mode à un autre et d’identifier ce qui va leur permettre de récolter des points sous forme de karma, like ou retweet, pour le plaisir ou simplement pour booster leur ego. Étant moi-même un “Digital Native”, je ne souhaite pas minimiser la chance que l’on a de posséder ce sens apparemment inné d’expert technologique. Mais peut-on vraiment qualifier de “don” cette capacité qui consisterait à prendre n’importe quel objet comprenant une puce en silicium et pouvoir l’utiliser, sans avoir à feuilleter cet objet chimérique dont nos parents nous ont tant parlé : le “mode d’emploi” aussi appelé “notice d’utilisation” ?
Plutôt que de trouver une explication surnaturelle au fait que la connaissance de quelque chose nous vient simplement parce que nous sommes nés, essayons plutôt de nous focaliser sur l’objet de cette connaissance exactement.
L’informatique et “l’internet” et surtout, le contexte de cette connaissance. Depuis ses débuts dans les laboratoires, internet comme les ordinateurs s’est démocratisé. Il ainsi évident que les plus jeunes générations ont bénéficié de cet environnement où la technique était à portée de main, et dont l’utilisation pour les plus privilégiés a été facilitée par le développement des infrastructures. Plus besoin de choisir entre internet et le téléphone et de devoir fait des branchements complexes. Avoir internet chez soi est devenu chose commune, et ne pas avoir de 4G lorsque l’on sort est une anomalie. L’ordinateur n’est plus un objet de luxe, le dernier raspberry zéro vous coûtera moins cher qu’une bière, tout remplissant la majorité des tâches que vous exécutez quotidiennement sur votre ordinateur. D’autre part, les interfaces ont facilité l’utilisation de l’informatique et d’internet. Il ne faut pas minimiser l’apport colossal d’Apple et de Windows pour les interfaces utilisateurs. Depuis l’arrivée des interfaces graphiques, les designers n’ont cessé d’intégrer des éléments qui semblent intuitifs aux outils que nous utilisons quitte à faire oublier leur essence arbitraire autant que la complexité de ce qu’ils traitent en arrière-plan. Il peut sembler intuitif de swiper pour glisser sur une autre page ou de pincer pour agrandir une image, mais cela ne l’est finalement pas, et on adopte le geste facilement parce qu’il semble logique et naturel. L’avantage, c’est que la majorité des gestes de ce type sont reproductible avec diverses marques ou technologies différentes. Il y a un langage commun d’utilisation. Dans ce contexte d’accessibilité facilitée, ce langage inhérent à l’usage a été appris tôt par les plus jeunes et continue de se perfectionner tout au long de leur vie.
Mais dans cet apprentissage rapide, ne voyons pas la trace d’une capacité intellectuelle en plus que nos aïeux n’auraient pas. En effet, lorsque vous maîtrisez quelque chose, vous en connaissez les rudiments autant que les concepts avancés. Or, si on demande à un Millenial d’utiliser un Android au lieu d’IOS, ou macOS au lieu de Windows, il y a des chances qu’il se retrouve dans la peau de ses parents lorsqu’ils essayent de manier une manette de PlayStation. Admettons qu’il s’adapte vite, mettons-le à présent devant un terminal de commande. On peut imaginer que son intuition soi-disant naturelle se verra remise en question. Toutefois, ne faisons pas de cette expérience de pensée une généralité, et il parait certain que certains individus seront à l’aise et que l’on dénichera des experts dans la cohorte. Ce qu’il faut noter, c’est que ce genre de dichotomie se retrouvait déjà dans les générations précédentes. Il ne serait pas étonnant qu’un “Makers” d’aujourd’hui ait plus en commun avec les hackers d’hier qu’avec ses compères qui utilisent leur iPhone 12 pour faire des Tik Tok.
N’y voyons pas ici une quelconque hiérarchie entre les utilisateurs. Il n’est pas nécessaire que tous connaissent les rouages les plus subtils des systèmes qu’ils utilisent. Il faut donc remettre en question cette prémisse sur les plus jeunes générations. Ne naturalisons pas le rapport à la technologie, leur aisance et leur connaissance de ce qui les entoure. L’usage est hétéroclite, divers et varié ; n’essayons pas de ranger tous les jeunes sous la même étiquette. Même s’il est important d’avoir des idéaux types pour raisonner, encore faut-il que ceux -là soient représentatifs d’une partie du groupe qu’ils sont censés représenter.
Savoir scroller ne nous définit pas.
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