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The Place Where Rivers Meet (version française) par Nigel Roth



En prenant un café dans le centre-ville de Kinshasa, vous vous trouverez dans une capitale qui a changé de nom plus souvent que la plupart des Anglais ne changent de sous-vêtements.


Aujourd'hui, le pays s'appelle République démocratique du Congo, mais il a été également connu sous le nom de Congo-Kinshasa et de RD Congo, parfois sous le nom de DRC ou de RDC, d'autres fois sous le nom de Congo ou Le Congo, et, bien sûr, l'ancien Zaïre.


Comme si cela ne suffisait pas, en 1886, on parlait du Congo belge, et Kinshasa s'appelait Léopoldville, parce que le pays le plus grand d'Afrique subsaharienne, le deuxième du continent africain après l'Algérie, et le onzième de la planète, était le grenier privé du roi Léopold II de Belgique, qui en exploitait les ressources naturelles et se fichait éperdument de tous ceux qui avaient pu y vivre avant son arrivée.


La même année, une expédition était envoyée pour porter main forte au gouverneur de la province anglo-égyptienne d'Équatoria – qui recouvre aujourd’hui une région du Sud-Soudan et la majeure partie du Nord de l'Ouganda- alors aux prises avec des Mahdistes agités.


Les Mahdistes, soit dit en passant, se soulevaient pour des raisons tellement alambiquées qu'il faudrait un autre article et une chanson de Danny Kaye pour tenter de les expliquer. En résumé, les Soudanais étaient en colère contre les dirigeants ottomans. Les Musulmans souffraient du manque de religiosité des Turcs et personne n'était enchanté par la nomination des chrétiens de la région comme chefs. Les soufis, par ailleurs n'appréciaient pas du tout les officiels égyptiens et tout le monde était contrarié de ne plus pouvoir faire le commerce des esclaves qui était un pilier économique essentiel de la région depuis des siècles.


Et donc ils se sont soulevés.


Le gouverneur désespéré, qui tentait de maintenir un semblant de paix, était un médecin juif polonais du nom d'Isaak Eduard Schnitzer. Il avait cependant pris le nom de Mehmed Emin Pacha, puis celui d'Emin Pacha tout court.


Après avoir été privé de son droit de pratiquer la médecine en Allemagne, Schnitzer avait quitté l'Europe pour se faufiler dans l'Empire ottoman. Il n’avait atteint toutefois que le Monténégro, où il découvrit qu'il aimait le gravlax. Il y resta, devenant l'officier de quarantaine du port, apprenant en plus trois langues supplémentaires le turc, l'albanais et le grec, à ajouter à celles qu'il connaissait déjà. De là, il rejoignit la cour d'Ismail Hakki Pasha, le gouverneur du nord de l'Albanie, dont il semble avoir annexé la femme à la mort de ce dernier en 1873.


Son ascension vers un poste de gouverneur était en cours.


Ce sera d’ailleurs plus tard sa gouvernance, ou plutôt son absence de gouvernance, qui déclenchera l'expédition de secours Emin Pasha, dirigée par Sir Henry Morton Stanley. Ce même Stanley rechercha David Livingstone, le médecin et missionnaire chrétien écossais, en tentant de rejoindre Emin pour le démettre de ses fonctions, après que Muhammed Ahmad puis Karam Allah se soient emparés de la région d'Equatoria et l'aient coupée du reste du monde.


Nous avons donc un Américain, Stanley, en réalité un Gallois du nom de John Rowlands, patronyme qu'il a changé pour se donner un air plus expéditionnaire, à la recherche de Mehmed Emin Pasha, en fait un Polonais du nom de Schnitzer.


Avant cette ascension, puis déconfiture, Emin, qui avait abandonné la femme et les enfants du Pacha quelque part près d'une oasis, avait disparu pendant plusieurs années, avant de reparaître miraculeusement pour ouvrir un cabinet médical, cette fois à Khartoum. Il semblerait qu’il était devenu musulman, plutôt par défaut que par conversion, ce qui ne le priva en rien d'attirer l'attention du major-général Charles George Gordon, alors gouverneur d'Équatoria. Il fut employé par ce dernier à la fois comme médecin en chef et comme émissaire privé. Emin se rendit ainsi dans des endroits merveilleusement nommés comme Bunyoro et Buganda, pour porter et récupérer des missives dans la langue locale, le Lugandais.

Soit dit en passant, Gordon était également connu sous les noms de Gordon le Chinois, Gordon Pacha et Gordon de Khartoum, pour ajouter à cette histoire de surnom.


Lorsque Gordon décida qu'il en avait assez de gouverner en 1876, il confia le titre et les responsabilités à Emin Pasha, avec une armée de quelques milliers de soldats qui patrouillaient, et parfois contrôlaient, environ un mille carré de terre. Emin était cependant largement ignoré de tous en tant que décideur et passait son temps à récolter des échantillons de feuillage, d'animaux, d'oiseaux et d'objets d'art, dont beaucoup ont fini dans des musées européens.


Et il restait là, assis, à mâcher du khat.


Jusqu'à ce qu'il soit encerclé par les forces mahdistes de Karam Allah et appelle à l'aide en transmettant un message à son ami Wilhelm Junker, qui lui-même fit appel à la cavalerie. Junker, soit dit en passant, était en réalité russe, mais prétendait être allemand, et pourquoi pas !


C’est ainsi que Stanley et ses hommes se retrouvèrent à descendre le fleuve Congo et traversèrent la forêt d'Ituri. Stanley le gallois Rowlands, cherchait Emin le polonais Schnitzer, après que Junker l'allemand russe, ait été alerté, et tout cela pendant que le chinois Gordon déracinait silencieusement des acacias en forme de parapluie.


Stanley réussit finalement à atteindre Emin en 1888, avec seulement deux tiers de son équipage encore en vie, dont un certain James Sligo Jameson.


Jameson, héritier de la célèbre dynastie des whiskies irlandais fondée en 1780 et qui appartient aujourd’hui au distillateur français Pernod Ricard, se considérait également comme un explorateur et souhaitait vivre l'expérience de la vie réelle du Congo belge ou Afrique noire, comme il l'appelait. Il était certainement précurseur du livre de Józef Teodor Konrad Korzeniowski, Le cœur des ténèbres, publié onze ans plus tard et dont l'action se déroule dans cette région précisément.


L’expédition arriva donc dans un village appelé Riba Riba et fut accueillie avec le respect approprié de l'époque. Ce village, pour la petite histoire, fut incendié cinq ans plus tard par le fonctionnaire colonial belge apparemment pyromane, Louis-Napoléon Chaltin, connu aujourd'hui sous le nom de Lokandu. Bref, Jameson, avec toute la subtilité de l’époque coloniale s'enquit de la pratique congolaise du cannibalisme.


"En Angleterre, dit l'Irlandais, nous entendons beaucoup parler de cannibales qui mangent des gens. Comme je suis moi-même sur place, j'aimerais le voir en personne."


Et c'est ce qui fut fait, pour le prix de six mouchoirs.


En quelques instants, une jeune esclave de dix ans fut traînée jusqu'à la clairière où le groupe expéditionnaire était assis, puis rapidement et silencieusement poignardée à mort, découpée et partagée équitablement entre ses bourreaux-bouchers qui emportèrent la "viande" dans leur pot respectif.


Bien que Jameson ait par la suite tenté de modifier son récit, et que des témoins se soient étrangement rétractés, dont sa veuve qui, sur son lit de mort, le dépeignit comme un spectateur innocent trop choqué pour faire autre chose que regarder, Jameson réussit malgré tout à croquer la scène pour la postérité, à l'aide d'un crayon bien taillé.


En fin de compte, il fallut à Stanley une année entière pour convaincre Emin, qui occupait par un concours de circonstances un rang dans la société qu'il n'aurait probablement pas pu atteindre en tant que médecin du nom de Schnitzer en Allemagne, de quitter la région sous la protection de l’expédition. Ils arrivèrent finalement à Bagamoyo en 1890, où Emin rejoignit la Société Allemande d'Afrique de l'Est, plusieurs échelons en dessous du gouverneur, du bey et du pacha, et explora et enregistra des zones d'intérêt naturel et économique pour le compte de cette entreprise.


En 1890, Emin reçut la médaille d'or du fondateur de la Royal Geographical Society, principalement pour sa contribution à la compréhension de la composition zoologique de la région, et fut immortalisé par le baptême de deux occupants des lieux, le serpent vermisseau Emin Pasha - ou Leptotyphlops emini - et le moineau indigène, le moineau châtain Passer eminibey.


Deux ans plus tard, alors qu'il explorait les lacs intérieurs en compagnie de son collègue

Franz Ludwig Stuhlmann, un naturaliste allemand vraiment allemand, Emin Pasha fut tué par deux marchands d'esclaves arabes au cours d'une dispute à Kiena Station dans l'État libre du Congo, un autre nom pour cette région incomprise, maltraitée et désappropriée.


Et c'est ainsi que se termine l'étrange voyage d'Isaak Eduard Schnitzer Mehmed Emin Pasha.


photo by Mhmd Sedki


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