Cette chronique aurait pu s’appeler « vaccin au rabais » ou « une certaine insolence de l’Occident ».
Le 29 juin 2021, la presse, en particulier la BBC, se fait écho de la demande d’autorisation d’urgence du géant pharmaceutique privé India Serum Institute, (SII) le plus gros fabriquant de vaccins au monde, déposée pour le Covishield, nom donné au vaccin suédo-britannique d’AstraZeneca et Oxford University, fabriqué sous licence en Inde, pour le pass sanitaire européen dit Green Pass, entré en vigueur le 1er juillet 2021.
Pourquoi ? Parce que les vaccins contre le Covid-19 éligibles au pass sanitaire européen sont ceux dont la commercialisation a été approuvée par l’Agence Européenne des Médicaments (AEM). Quatre vaccins permettent donc d’entrer sur le territoire de l’Union Européenne : le germano-américain Pfizer-BioNTech, celui de la filiale belge Janssen de l’américain Johnson & Johnson, l’américain Moderna et le suédo-britannique AstraZeneca Europe.
Le Covishield ne figure pas sur cette liste. Le gouvernement indien a examiné de près la directive de l‘Union Européenne concernant le Green Pass et son impact sur les pays du tiers monde à l’avenir. Le directeur du SII a fait savoir à la BBC qu’il espérait résoudre ce problème « bientôt ». L’AEM, dans un premier temps, s’est retranchée derrière le fait que le fabriquant du Covishield n’avait pas demandé d’autorisation. Toujours selon la BBC, la Commission européenne a laissé aux États membres la latitude d’admettre ou non sur leur territoire les voyageurs ayant reçu un vaccin autorisé par l’Organisation Mondiale de la Santé.
Selon les compte-rendu de presse du 1er juillet au matin, on apprend que, la veille, le gouvernement indien a fait passer le message, auprès des États membres de l’Union Européenne, qu’il appliquera des restrictions réciproques pour les voyageurs venant en Inde. Ceux-ci seront soumis à une quarantaine, quand bien même ils seront munis du pass sanitaire européen, si leur État de provenance ne reconnaît pas la fabrication indienne du vaccin AstraZeneca, dont le gouvernement rappelle qu’il a reçu l’agrément de l’Organisation Mondiale de la Santé, et plus généralement ne reconnaît pas les deux vaccins Covishield et Covaxin donnant lieu, en Inde, au certificat de vaccination CoWIN.
Cette prise de position est intervenue malgré une « clarification » de l’Union Européenne, qui se défend d’avoir eu une quelconque intention discriminatoire. L’Union Africaine s’est pourtant inquiétée de la situation. Elle l’a manifesté dans une lettre de protestation signifiant que la position européenne promouvait les inégalités, non seulement pour les Indiens, mais aussi pour les pays aux populations à « faibles et moyens revenus ». Pour ces pays, le vaccin Covishield est l’épine dorsale du programme d’alliance internationale Covax, l’outil majeur de vaccination du monde entier.
Cette intervention a poussé l’AEM, dans un second temps, à motiver son refus par un risque de « différences » entre le Covishield et son original d’Europe. « Des différences infimes dans les conditions de fabrication peuvent entraîner des différences dans le produit final et la législation européenne exige donc que les sites de fabrication et le processus de production soient évalués et approuvés dans le cadre du processus d’autorisation », a précisé l’AME.
En quelques heures, il y a eu des avancées sur la question litigieuse. L’Allemagne a pris les devants en ajoutant le vaccin Covishield à sa liste, suivie de la Slovénie, l’Autriche, la Grèce, l’Islande, l’Irlande et l’Espagne. La Suisse l’a intégré à sa liste également. A vrai dire, l’attitude de l’AEM a soulevé des critiques parmi les États membre de l’Union Européenne aussi, l’exclusion du Covishield du Green Pass ne paraissant pas trouver de justification suffisamment objective. D’une part, l’Union Européenne a largement soutenu les contributions de Covax avec le vaccin Covishield au programme de vaccination des États membres de l’Union Africaine. D’autre part, le même vaccin fabriqué en Europe est reconnu comme valable pour le Green Pass. Pourquoi donc ce choix dont on savait qu’il allait susciter des critiques ?
A première vue, on serait tenté de dire que l’AEM a favorisé la (supposée) meilleure qualité immunisante des vaccins fabriqués au États-Unis et en Europe. Elle a confirmé cette impression en mettant en doute les garanties de qualité du processus de fabrication du vaccin AstraZeneca en Inde. La lecture de nombreux articles consacrés aux aléas de fabrication et livraison du vaccin suédo-britannique laisse aussi penser à la possibilité d’un retour de manivelle de l’Union Européenne pour atteindre AstraZeneca. L’Union Européenne, dont bien des États membres avaient basé leur sortie de crise sanitaire sur le vaccin AstraZeneca, moins cher que les autres, a fulminé face aux insuffisances de livraison du fabriquant. Les commandes n’ont pas été renouvelées au mois de mai 2021. De surcroît, la Commission Européenne a saisi le juge des référés du Tribunal civil de Bruxelles en reprochant à la firme pharmaceutique de violer les termes du contrat de fourniture de vaccins et, en particulier, d’avoir favorisé le Royaume-Uni au détriment du marché continental. AstraZeneca se retranche derrière les termes de son contrat et la notion de « meilleurs efforts raisonnables » assortissant l’engagement. Dans ce contexte, la Commission Européenne pourrait bien perdre la face pour ne pas avoir été à la hauteur de l’enjeu du contrat signé avec AstraZeneca sur le plan juridique. Elle y voit une obligation de résultats, mais la firme pharmaceutique une obligation de moyens.
L’Union Européenne pourrait aussi avoir pris ombrage de la décision du gouvernement indien, ce printemps, au moment où le pays a été pris de court par la violente deuxième vague de l’épidémie, de suspendre la livraison des vaccins Covishield fabriqués sur son territoire, qui a plongé le programme international Covax pour les pays émergents dans une impasse. AstraZeneca semble avoir été soucieuse de sa réputation dans ce contexte, puisqu’elle a adressé à l’India Serum Institute une mise en demeure pour ses retards de livraison, qui apparaissent prioritairement imputables à la décision du gouvernement indien et à l’embargo des États-Unis sur la livraison de composants. En effet, les États-Unis se sont vu reprocher d’avoir gardé la main sur une réserve de vaccin AstraZeneca et certains composants de fabrication. Probablement, la raison se situait-t-elle du côté de l’engagement du gouvernement américain dans une campagne de vaccination titanesque, qui expliquerait le refus d’exporter ce stock, où que ce soit, en application du Defense Production Act, qui exige que les Américains aient priorité sur les vaccins fabriqués chez eux, d’où la restriction des exportations de doses, mais aussi de composants pour les fabriquer. C’est pourquoi, le 16 avril 2021, le patron de l’India Serum Institute postait sur Tweeter un message au Président Joe Biden lui demandant de mettre fin à l’embargo américain sur les exportations de composants, qui retardait sa production. Les États-Unis semblent avoir corrigé la situation.
Entre nous, braves citoyens du monde épidémique, plonger dans internet pour comprendre quelque chose aux enjeux mondiaux qui se déroulent sous nos yeux, bien naïfs, et nos cerveaux, bien désinformés, revient pratiquement à se noyer.
En tout état de cause, la défiance de l’AEM vis-à-vis du fabriquant indien du Covishield n’est pas rendue vraisemblable, d’autant moins que l’Union Européenne a soutenu le programme Covax fondé sur ce même vaccin. Si elle avait des doutes, elle aurait dû les exprimer à ce moment-là … sauf à admettre que les populations africaines sont moins dommages. Si l’Union Européenne n’a pas une idée revancharde derrière sa décision de refuser le vaccin Covishield, c’est alors qu’il faudrait se résoudre à l’idée que les voyages deviennent le prétexte d’un monde pandémique à deux vitesses, les vaccinés sous brevets et les vaccinés génériques à bas prix. Les vaccinés au rabais resteront dans leur partie du monde. Les autres iront-ils partout ?
Est-ce là le changement de société que nous attendons d’une catastrophe sanitaire mondiale ?
Photo by Olya Kobruseva
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