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Vive le Calme! par Robert Yessouroun


Agacée, Scratcha serra, comprima, secoua l’emballage en super-néo-plastique qui protégeait les ciseaux à couper le métal qu’elle venait de se faire livrer par envoi prioritaire. L’une de ses chattes s’était fait piéger chez un voisin et elle en était revenue avec un fil à la patte, fil rattaché à une pelote de laine. Comme il fallait être vicieux pour concevoir un dispositif aussi cruel !


Se rongeant les ongles, la trentenaire réexamina la notice jointe à la facture des ciseaux. En dépit du fléchage et des instructions (un brin laconiques), le compact transparent qui emmurait l’instrument s’obstinait à résister à toute tentation d’ouverture. Canif, tournevis, couteau pointu, tire-bouchon, rien ne venait à bout de cette pochette antivol. Un hermétisme aussi parfait eut le don d’exaspérer Scratcha, et ce, au plus haut point, d’autant plus que la pauvre chatte ne cessait de miauler.


Zena, la gynoïde domestique, après analyse de la situation, prit des mesures pour apaiser sa maîtresse. Hop, deux, trois giclées de laser et, illico, les ciseaux providentiels se révélèrent accessibles. Bon, juste un anneau de la poignée légèrement fondu, mais l’ustensile était utilisable. Scratcha put enfin libérer la patte de sa chatte, qui bientôt ronronna de gratitude. Quant à sa maîtresse, elle ne remercia point le robot, tout outrée qu’elle était, les poils horripilateurs hérissés, une fois de plus, par tous ces objets hyper-sécurisés.

La gynoïde calcula que madame avait rudement besoin d’une phase de détente. Après avoir consulté des pubs par milliers, elle se focalisa sur une appli que madame pourrait télécharger sur son portable : « Vive le calme ! »


24 heures sur 24, on y prodiguait : conseils pour gagner en légèreté, exercices physiques de relaxation, sources de méditation philo, directives pour mieux respirer en profondeur, musique chorale ou instrumentale en rythme extatique, bruitage de forêts exotiques, frémissements de ruisseaux et de cascades paisibles, chants d’oiseaux mélomanes au lever du soleil, sans oublier les peinture édéniques ou les photos paradisiaques imprimables une heure durant sur des murs clairs.


Bien sûr, comme avec cette appli, il s’agissait de bien-être personnel, pour des raisons évidentes de sûreté, la procédure de téléchargement de Vive le calme ! n’était guère transmissible à des tiers. Seul l’usager en son nom propre pouvait l’enclencher sur sa tablette.


Zena n’eut aucun mal à persuader Scratcha d’adopter cette appli. Sa maîtresse se réjouissait même de tenir à bout de bras un monde susceptible de lui infuser un peu de sérénité.


- Une sérénité jusqu’aux confins de l’âme » ajouta Zena, en mode poétique.


Assise à son bureau, avec ardeur et enthousiasme, sous le regard tolérant de ses trois chattes, elle amorça la démarche requise. Il s’agissait d’abord tout bêtement de remplir un questionnaire rapide : civilité, nom, prénom, date de naissance, adresse et profession. Rien de plus banal, quoi. Pourtant, tout ne se passa pas comme sur des roulettes. Sur le clavier, la touche de la lettre « T » se mit à réagir de manière aléatoire. D’où, à la rubrique « prénom » : Scracha. Vu cette nouvelle contrariété, sa fougue se mua en impatience, ce qui ne favorisa guère la concentration pour la suite. Ainsi, au lieu de donner la date de sa naissance, elle envoya, par inadvertance, la date du jour. Aussitôt le logiciel la buta hors de ses données : l’appli n’acceptait pas les usagers mineurs âgés de moins d’un an.

Son engouement déjà refroidi pour Vive le calme ! faiblit considérablement.


Toutefois, grâce à Zena, elle réussit à contourner son ostracisme en se présentant sous le prénom de sa mère. Mais, vu le deuxième essai depuis le même ordinateur, par principe de précaution, le webmaster automate tint à s’assurer de l’identité de la nouvelle candidate à Vive le calme ! Il exigea le e-mail maternel, afin d’y placer un code. Celui-ci, une fois retourné et validé, devra être complété par un QR via un lecteur ad hoc à télécharger.


Scratcha sentit comme une punaise dans le macaroni. Certes, elle accédait facilement à l’e-mail de sa maman, mais le gros hic, c’était que le code requis contenait deux « T ». Une vive chaleur monta vers la tête de la jeune femme. Elle intima à Zena de réparer son clavier. Il s’avéra que la touche « T » avait été bloquée par une fine rognure d’ongle glissée dans un interstice. Hélas, une fois remonté, le clavier se désactiva.


- On ne saura jamais pourquoi, regretta la trentenaire.


Une heure plus tard fut livré en service d’urgence prioritaire un clavier de secours, de seconde main. Toutefois, le clavier roumain était dépourvu d’accents grave et aigu, mais possédait notamment un « S » avec une étrange virgule.


Quand Scatcha remplit la rubrique « profession », elle ne put qu’écrire « veterinaire », ce qui, aussitôt, fit afficher sur fond rouge : « métier inconnu ».


Elle comprit alors jusqu’à ses entrailles le sens de l’adage : le diable est dans les détails. Après avoir remplacé « veterinaire » par « soignante » (avec le « S » sans la virgule), au moment de payer par carte bancaire, son lapin nain noir se mit à grignoter une tresse de piments séchés en attente d’être suspendu au mur de la cuisine. Cet intérêt surprenant pour un tel condiment rendit l’attention de Scratcha flottante. Plusieurs chiffres avaient été sautés lors de la transcription de son numéro de carte. Un avertissement clignota, brisant le peu de self-control qui restait à la trentenaire. À la quatrième tentative maladroite de paiement, son compte fut bloqué. Aux réclamations, entre deux fugues de Bach, le service clients rappelait inlassablement qu’il était débordé…

Mais le pire restait à venir, sous la forme d’un message vocal :


« Trop d’erreurs commises. Nous vous dépêchons le SIP.

- C’est quoi, le SIP, Zena ?

- C’est le Service d’Intervention Psychologique, madame. Suis navrée. Vais procéder à un rafraîchissement de mon système d’assistance technique.


Cette mise à jour ralentissait les calculs de la gynoïde à la recherche d’une solution provisoire pour sa maîtresse, avant l’arrivée du SIP. La jeune humaine s’exposait à un bref internement psychiatrique. L’automate conclut par l’administration surprise d’un spray calmant à dose céleste.


Quand l’équipe du SIP débarqua avec tout son matériel, l’androïde principal ne tarda pas à mesurer sur la fautive toutes les bio-données requises. Résultat : il la diagnostiqua en sous-tension. Le robot psy attribua du reste à ce manque de tonus l’origine des fausses manœuvres. Certain de son affaire, il lui injecta une solide ration d’excitant.


Peu après, aux cris perçants de leur maîtresse, les trois chattes et le lapin nain détalèrent du salon pour se terrer sous le lit. Sur la table de chevet, l’écran du portable s’éclaira d’une nouvelle pub :


« Et si vous essayiez un mois gratuitement « Vive le calme ! » ? »



photo by Nick Demou

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