Cette semaine, je vous emmène en 1692.
Tandis que le fermier Giles Corey était écrasé à mort pour sorcellerie à Salem, John Page prenait sa retraite après avoir implanté si fermement sa plantation de Middleton sur la carte qu'elle en est devenue Williamsburg. Robert Campbell, quant à lui, n’en pouvait plus de massacrer allègrement le clan MacDonald à Glencoe, endroit où il est agréable aujourd’hui de se balader, avant de déguster un thé-crème en attendant la prochaine averse.
Et pendant ce temps, en Chine, un certain Ferdinand Verbiest inventait l'automobile.
Enfin, il s’agissait, pour être précis, du modèle réduit d’un véhicule à vapeur en état de marche et, même si personne n’a pu se mettre à son volant, Verbiset a incontestablement lancé un trend.
Cent ans plus tard, Nicolas-Joseph Cugnot réalisa un véhicule similaire mais grandeur nature et, en 1801, l’ingénieur Richard Trevithick conduisit partout sa « Puffing Devil », la pression de la vapeur augmentant et diminuant au même rythme que son enthousiasme.
La course était lancée : d'autres ingénieurs comme Nicéphore et Claude Nièpce, François Isaac de Rivaz, Samuels Brown et Morley ou encore Etienne Lenoir tentèrent de mettre en circulation une voiture avec moteur à combustion sans toutefois parvenir à décrypter ce qui deviendra la voiture.
C'est à Gustave Trouvé que l'on doit la première voiture électrique en 1881, et à Messieurs Gottlieb Daimler, Wilhelm Maybach, Siegfried Marcus et enfin Karl Benz, d'inventer l'automobile moderne.
Tout cela nous amène à ce que le président d'une entreprise pour laquelle je travaillais m'a dit en sirotant un verre de Chablis, sa main potelée s’agitant sous mon nez, alors que je devais choisir ma voiture de société : "Vous pouvez avoir celle que vous voulez ".
Ce qui n'était pas tout à fait vrai.
Parce que je ne pouvais pas avoir la voiture que je voulais, mais une de celles qui existait dans une certaine palette de choix. Mon patron a ensuite encore affermi mes options en arrêtant un coût maximum, de sorte que je pouvais avoir n'importe quelle voiture dans cette fourchette de prix et si possible dans la marque du fabricant préféré de l'entreprise ; en plus, mieux valait choisir une boîte automatique au cas où je partirais et au cas où quelqu'un d’autre aurait besoin de la conduire. Ah et aussi, elle devait pouvoir être livrée rapidement.
En gros, je ne pouvais choisir qu’une Honda et d’une couleur qui figurait dans l’éventail proposé.
Le fait est que le libre choix n'est jamais libre, mais filtré par l'existence du produit, sa disponibilité et toute une série d’autres critères.
Mon choix, s’il avait été libre, se serait porté sur un 4x4 décapotable, qui aurait été bien pour les randonnées hivernales et frais et léger en été, mais aucun véhicule existant ne correspondait alors à mon envie.
Pendant que nous y sommes, j'aimerais aussi des sièges en mousse à mémoire de forme pour que mon postérieur profite du voyage autant que moi, et des prises électriques qui peuvent être étirées comme une rallonge pour que les téléphones puissent se recharger n'importe où dans le véhicule. Et, s'il vous plaît, ajoutez un écran électrique coulissant en plexiglas entre les sièges avant et arrière, comme dans les vieux taxis de New York, pour que mes enfants puissent se divertir pendant que je conduis en paix.
Nous parlons sans cesse de libre choix mais la terminologie est en fait impropre.
Si nous avions réellement un choix libre - c'est-à-dire si nous pouvions créer la voiture que nous voulons exactement et l'acheter à un prix raisonnable - aurions-nous besoin de publicité ou de marketing pour la promouvoir ? Nous n'aurions pas besoin d'être convaincus qu'une voiture est meilleure qu'une autre puisque par définition, elle répondrait déjà à nos besoins. La publicité n’aurait plus de sens que pour promouvoir le système virtuel dont nous aurions besoin pour créer la voiture de nos rêves, ou les composants et options que nous pourrions y ajouter.
Il est intéressant de noter que le marché américain des céréales a pris une autre option, en essayant de créer en série une céréale pour chaque souhait. Des centaines de céréales ont en fait induit un paradoxe de choix ; il y en a tellement, que choisir devient non seulement difficile mais dans certains cas, impossible.
Mais revenons aux voitures.
Cette année, il y a environ 250 modèles disponibles rien qu'aux États-Unis, avec de nombreuses variantes pour chacun d’eux. Trier est beaucoup plus compliqué que lorsque Benz a introduit sa première marque en 1885.
Aucun de modèles pourtant ne répond à mes humbles, mais pratiques exigences.
Cela fait environ vingt-neuf ans que je réfléchis à quoi devrait ressembler ma voiture idéale, précisément depuis que l’on m'a proposé la voiture de société de mon « choix ». Ce que l’on constate est que les années passées à acheter uniquement ce qui est disponible a affecté notre capacité à créer. La recherche dans ce domaine, s’attache à analyser la réaction du consommateur confronté à une certaine stimulation et ce, pour affiner les offres.
On attribue à tort à Henry Ford le propos suivant : « Si j'avais demandé aux gens ce qu'ils voulaient, ils auraient dit des chevaux plus rapides ». Elle résume bien mon propos. Nous pouvons réagir à une offre, mais sommes souvent incapables de créer.
J’ai presque trouvé ce que je recherchais à Epcot, cent neuf ans après que le pilote suisse Louis Chevrolet a fondé sa société. En effet, le Chevrolet Design Center nous permet de concevoir une voiture virtuelle que l’on peut ensuite conduire sur leur piste d'essai, en la mettant à l'épreuve.
Toutefois, la conception de la voiture ne se situe que dans les paramètres du programme, avec un nombre limité d’options. Imaginez que la palette soit plus large, plus complexe dans les spécifications et plus variées dans les ajouts de composants.
Vous pourriez alors créer votre « Vroum » et accompagner au panthéon les Verbiest, Cugnot, Trevithick, Nièpce, Rivaz, Brown ou Morley, Lenoir, Trouvé, Daimler, Maybach, Marcus et Benz.
Et moi, je pourrais enfin avoir mon véhicule idéal au lieu de devoir acheter une Camry en clouant mes testicules à la porte du garage.
credit picture Matheus Bertelli
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